Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/59

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la bonne ville d’Ax, et d’en avoir vu vendre dans les pharmacies de France : cette eau se vendait au moins quinze sous la bouteille, tant elle était puante et nauséabonde.

Après nous être suffisamment désaltérés, les forces revinrent petit à petit. Nous pûmes alors dresser la tente, et nous mettre avec énergie chacun à notre ouvrage. M. Gabet alla faire quelques petits fagots parmi les charmilles ; Samdadchiemba ramassait des argols dans le pan de sa robe, et M. Huc, assis à l’entrée de la tente, essayait de s’initier à l’art culinaire, en vidant une poule dont Arsalan convoitait les entrailles d’un œil avide et attentif. Nous voulions au moins une fois, à travers les déserts, nous donner le luxe d’un petit festin ; nous voulions, par patriotisme, régaler notre Dchiahour d’un mets conditionné d’après les règles du Cuisinier français. La volaille fut donc artistement dépecée et plongée au fond de notre grande chaudière. Quelques racines de sinapis confites dans de l’eau salée, des oignons, une gousse d’ail et un piment rouge complétèrent l’assaisonnement. Bientôt le tout fut mis sans peine en ébullition ; car ce jour-là nous étions riches en combustible. Samdadchiemba, après avoir plongé sa main dans la marmite ; en retira un fragment de volaille dont il fit l’inspection : il annonça aux convives que l’heure était venue : alors la marmite fut aussitôt retirée de dessus le trépied, et placée sur le gazon. Nous nous assîmes tout auprès, de manière à pouvoir la toucher de nos genoux, et chacun des convives, armé de deux bâtonnets, s’efforça de saisir les morceaux qui flottaient à la surface d’un abondant liquide. Quand le repas fut achevé, et après avoir remercié le bon Dieu du festin qu’il nous avait servi dans le désert,