Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/66

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Nous avions pris notre parti, et nous étions sur le point de faire notre souper avec un peu de farine délayée dans de l'eau froide, lorsque nous vîmes venir vers nous deux Tartares, qui conduisaient un petit chameau. Après les saints d'usage, l'un d'eux nous dit : Seigneurs Lamas, aujourd'hui le ciel est tombé ; vous ne pouvez pas sans doute dresser votre foyer. — Hélas! comment pourrions-nous dresser un foyer puisque nous n'avons pas d'argols !—Les hommes sont tous frères et s'appartiennent entre eux. Mais les hommes noirs doivent honorer et servir les saints ; voilà pourquoi nous sommes venus pour allumer votre feu ... Ces bons Tartares nous avaient aperçus pendant que nous cherchions un campement ; et présumant notre embarras, ils s'étaient hâtés de venir nous offrir deux hottes d'argols. Nous remerciâmes la Providence de ce secours inespéré, et le Dchiahour se mit aussitôt à préparer la farine pour le souper. La dose fut un peu augmentée, en faveur des deux convives qui nous étaient survenus.

Pendant notre modeste repas, nous remarquâmes que l'un de ces Tartares était l'objet de beaucoup de prévenances de la part de son compagnon. Nous lui demandâmes quel grade militaire il occupait dans la bannière bleue. — Quand les bannières du Tchakar ont marché, il y a deux ans, contre les rebelles du midi (1)[1], j'avais le grade de Tchouanda. — Comment tu étais de cette fameuse guerre du midi ! Mais comment vous autres bergers, pouvez-vous avoir le courage des soldats ? Accoutumés à une vie paisible, vous devriez être étrangers à ce terrible métier, qui consiste à tuer les

  1. (1) Les Anglais, qui à cette époque faisaient la guerre à la Chine, étaient généralement appelés par les Tartare : Rebelles du midi.