Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/298

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heures une bonne tranche de bœuf grognant. Samdadchiemba, en sa qualité de majordome, la fit monter à la surface du liquide au moyen d'une large spatule en bois, puis la saisit avec ses ongles et la jeta précipitamment sur un bout de planche, où il la dépeça en trois portions égales : chacun prit une ration dans son écuelle, et à l'aide de quelques petits pains cuits sous la cendre, nous commençâmes tranquillement notre repas, sans trop nous préoccuper ni des escrocs ni des mouchards. Nous en étions au dessert, c'est-à-dire, que nous en étions à rincer nos écuelles avec du thé beurré, lorsque les deux Lamas, prétendus marchands, reparurent. — Le Régent, dirent-ils, vous attend à son palais, il veut vous parler. — Bon ! est-ce que le Régent, lui aussi, voudrait, par hasard, nous acheter nos vieilles selles ? — Il n'est question ni de selles, ni de marchandises ... Levez-vous promptement, et suivez-nous chez le Régent. — Notre affaire n'était plus douteuse ; le gouvernement avait envie de se mêler de nous ; mais dans quel but ? Etait-ce pour nous faire du bien ou du mal ? pour nous donner la liberté, ou pour nous enchaîner ? pour nous laisser vivre, ou pour nous faire mourir ? C'était ce que nous ne savions pas, ce que nous ne pouvions prévoir. — Allons voir le Régent, dîmes-nous, et pour tout le reste, à la volonté du bon Dieu !

Après nous être revêtus de nos plus belles robes, et nous être coiffes de nos majestueux bonnets en peau de renard, nous dîmes à notre estafier : Allons ! — Et ce jeune homme, fit-il, en nous montrant du doigt Samdadchiemba, qui lui tournait les yeux d'une manière fort peu galante ? — Ce jeune homme ! c'est notre domestique ; il gardera la maison