Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/94

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grande pauvreté, n'ayant que cette maison, qu'il avait fait bâtir au temps de sa prospérité, et qu'il ne trouvait pas à vendre. La louer, cela ne se pouvait ; c'était contraire aux usages de la lamaserie, qui n'admettent pas de milieu entre la vente et le prêt gratuit d'une maison. Pour comble d'infortune, le vieux Akayé ne pouvait pas profiter des offrandes extraordinaires qu'on distribue quelquefois aux Lamas qui ont atteint certains grades dans la hiérarchie. Ne s'étant occupé, pendant toute sa vie, que de choses temporelles, il n'avait pu faire ses études ; il était complètement illettré, et ne savait ni lire, ni écrire. Cela ne l'empêchait pas cependant de prier du matin au soir ; il avait toujours son chapelet à la main, et on l'entendait continuellement grommeler à demi-voix quelques formules de prière. Cet homme avait un cœur excellent ; mais on ne paraissait pas faire grand cas de lui : il était vieux et ruiné.

A droite de la demeure du vieux Akayé, sur une autre face de la cour, logeait un Lama d'origine chinoise : on le nommait le Kitas-Lama (Lama chinois) ; quoiqu'il eût soixante-dix ans, il avait meilleure façon que le pauvre Akayé. Son corps commençait à se voûter ; malgré cela il était encore de taille moyenne et d'un riche embonpoint ; sa figure pleine de vivacité était ornée d'une belle barbe blanche, un peu jaunie à l'extrémité. Le Kitas-Lama était fameux dans la science lamaïque, il parlait et écrivait à merveille le chinois, le mongol et le thibétain. Pendant un assez long séjour dans le Thibet et dans plusieurs royaumes de la Tartarie, il avait amassé une grosse fortune ; on disait qu'il avait dans sa cellule plusieurs caisses remplies de lingots d'argent : son avarice était néanmoins sordide ; il