Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ici, comme dans la rue de Richelieu, les spectateurs se séparaient en plusieurs classes distinctes. Dans l’enceinte du parquet, des personnes choisies et des dames brillantes de parure ; dans le barreau réservé aux agréés, des jurisconsultes, parmi lesquels s’étaient confondus MM. de Bryas et de Brigode, députés ; enfin, dans la partie la plus reculée où les spectateurs sont debout, et que l’on peut comparer au parterre de nos théâtres, on voyait se presser un auditoire plus impatient, et qui, longtemps avant l’ouverture des portes, dès neuf heures du matin, faisait queue dans les vastes galeries du palais de la Bourse. Derrière ces spectateurs, était encore un autre public d’une mise plus modeste, et d’autant plus bruyant qu’il se voyait relégué aux dernières places.

À midi, les portes ayant été ouvertes à ces deux dernières parties du public, tout ce qui restait vide dans l’auditoire a été envahi, et la salle même des Pas-Perdus, espèce de vestibule séparé de l’auditoire proprement dit par des portes vitrées, a été encombrée d’une multitude de curieux.

Quelques-uns des spectateurs semblaient surpris de ne point voir le tribunal, les parties et leurs conseils, aussi ponctuels qu’eux-mêmes, et ils réclamaient le commencement de ce qui semblait être pour eux un spectacle.

Lorsqu’on a vu arriver et se placer aux bancs de la gauche M. Victor Hugo et ses conseils, beaucoup d’individus sont montés sur les banquettes, les autres leur ont crié de s’asseoir, et M. Victor Hugo a été vivement applaudi.

Le tribunal, présidé par M. Aubé, prend enfin séance, et le silence ne se rétablit pas sans peine. Les cris : À la porte ! s’élèvent contre ceux qui, n’ayant pu trouver place, occasionnent quelque tumulte. C’est au milieu de cette agitation que l’on fait l’appel des deux causes : 1o la demande formée par M. Hugo contre le Théâtre-Français ; 2o l’action récursoire des comédiens contre M. le ministre du commerce et des travaux publics.

Me  CHAIX-D’EST-ANGE, avocat de M. le ministre, prend des conclusions tendant à ce que le tribunal se déclare incompétent, attendu que la question de la légalité ou de l’illégalité d’un acte administratif, aux termes de la loi du 24 août 1791, défend aux tribunaux de connaître des actes administratifs et de s’immiscer dans les affaires d’administration.

Le texte de la loi, dit Me  Chaix-d’Est-Ange, est tellement formel que l’incompétence ne me paraît pas souffrir la moindre difficulté ; j’attendrai au surplus les objections pour y répondre.

Me  ODILON-BARROT, avocat de M. Victor Hugo, prend les conclusions suivantes :

« Attendu que, par convention verbale du 22 août dernier, entre M. Victor Hugo et la Comédie-Française, représentée par M. Desmousseaux, l’un de MM. les sociétaires du Théâtre-Français, dûment autorisé, l’administration s’est obligée à jouer la pièce le Roi s’amuse, drame en cinq actes et en vers, aux conditions stipulées ; que la première représentation a eu lieu le 22 novembre dernier ; que, le lendemain, l’auteur a été prévenu officieusement que les représentations de sa pièce étaient suspendues par ordre ; que de fait l’annonce de la seconde représentation, indiquée au samedi 24 novembre suivant, a disparu de l’affiche du Théâtre-Français pour n’y plus reparaître ; que les con-