Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/231

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ventions font la loi des parties ; que rien ne peut ici les faire changer dans leur exécution ;

 » Plaira au tribunal condamner par toutes les voies de droit, même par corps, les Sociétaires du Théâtre-Français à jouer la pièce dont il s’agit, sinon à payer par corps 25,000 francs de dommages et intérêts, et, dans le cas où ils consentiraient à jouer la pièce, les condamner, pour le dommage passé, à telle somme qu’il plaira au tribunal arbitrer. »

Messieurs, dit le défenseur, la célébrité de mon client me dispense de vous le faire connaître. Sa mission, celle qu’il a reçue de son talent et de son génie, était de rappeler notre littérature à la vérité, non à cette vérité de convention et d’artifice, mais à cette vérité qui se puise dans la réalité de notre nature, de nos mœurs, de nos habitudes.

Cette mission, il l’a entreprise avec courage ; il la poursuit avec persévérance et talent. Il a soulevé bien des orages ; et le public, ce tribunal souverain devant lequel il est traduit, semble avoir consacré ses efforts par maints et maints suffrages.

Comment se fait-il aujourd’hui qu’il soit assis sur ces bancs, devant un tribunal, ayant pour appui, non le prestige de son talent, mais mon sévère ministère et la présence de jurisconsultes qui n’ont rien de littéraire ni de poétique ? C’est que M. Victor Hugo n’est pas seulement poète, il est citoyen ; il sait qu’il est des droits qu’on peut abandonner quand on n’apporte préjudice qu’à soi-même ; mais il en est d’autres qu’on doit défendre par tous les moyens possibles, parce qu’on ne peut pas abandonner son droit propre sans livrer le droit d’autrui, le droit de la liberté de la pensée, de la liberté des représentations théâtrales. La résistance à la censure, à des actes arbitraires, ce sont là des droits de garantie que l’on ne peut pas déserter lorsqu’on a la conscience de ces droits et de ces garanties, et lorsqu’on sait ce qu’est le devoir d’un citoyen.

C’est ce devoir que M. Victor Hugo vient remplir devant vous ; et bien qu’on ait reproché, quelquefois avec justice, à la république des lettres de livrer trop aisément ses franchises et ses priviléges au pouvoir, l’illustre poète a l’avantage d’avoir déjà donné de nobles et d’éclatants démentis à ce reproche. M. Victor Hugo a depuis long-temps fait ses preuves ; déjà sous la Restauration il a refusé de fléchir devant l’arbitraire de la censure. Ni les décorations, ni les pensions, ni les faveurs de toute espèce n’ont pu dominer en lui le sentiment de son droit, la conscience de son devoir. Nous l’admirions, et alors nous l’entourions de nos témoignages de sympathie, de nos manifestations publiques d’admiration. Eh bien ! serait-il accueilli avec d’autres sentiments aujourd’hui qu’il vient accomplir ce même devoir, aujourd’hui que, dans des circonstances bien plus favorables, lorsqu’une révolution semble avoir aboli toute censure, lorsqu’au frontispice de notre Charte sont écrits ces mots : La censure est abolie, il vient réclamer non un droit douteux, incertain, mais un droit consacré par notre révolution, consacré par la Charte constitutionnelle, qui a été le fruit, la conquête de cette révolution ?

Non, Messieurs, je ne crains pas que le sentiment de faveur qui jusqu’ici a accompagné M. Victor Hugo l’abandonne aujourd’hui ; ses sentiments sont restés les mêmes ; ils ont peut-être acquis un nouveau caractère d’énergie par les circonstances qui se sont passées depuis. Je n’oublierai jamais, la France n’oubliera pas non plus, que c’est dans cette enceinte même, le 28 juillet 1830, qu’a été donné le premier, le plus solennel exemple de résistance à l’arbitraire : c’est le jugement mémorable qui a condamné l’imprimeur Chantpie à exécuter ses engagements en imprimant le Journal du Commerce, malgré les ordonnances du 25 juillet.

Je prévois, ajoute-t-il, que l’on m’objectera un autre jugement rendu par vous en 1831,