Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/36

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faveur de notre assoupissement, comme on fait maintenant. Napoléon prit tout, à la fois, d’un seul coup et d’une seule main. Le lion n’a pas les mœurs du renard.

» Alors, messieurs, c’était grand ! L’empire, comme gouvernement et comme administration, fut assurément une époque d’intolérable tyrannie ; mais souvenons-nous que notre liberté nous fut largement payée en gloire. La France d’alors avait, comme Rome sous César, une attitude tout à la fois soumise et superbe. Ce n’était pas la France comme nous la voulons, la France libre, la France souveraine d’elle-même, c’était la France esclave d’un homme et maîtresse du monde.

» Alors on nous prenait notre liberté, c’est vrai ; mais on nous donnait un bien sublime spectacle. On disait : Tel jour, à telle heure, j’entrerai dans telle capitale ; et l’on y entrait au jour dit et à l’heure dite. On faisait se coudoyer toutes sortes de rois dans ses antichambres. On détrônait une dynastie avec un décret du Moniteur. Si l’on avait la fantaisie d’une colonne, on en faisait fournir le bronze par l’empereur d’Autriche. On réglait un peu arbitrairement, je l’avoue, le sort des comédiens français, mais on datait le règlement de Moskou. On nous prenait toutes nos libertés, dis-je, on avait un bureau de censure, on mettait nos livres au pilon, on rayait nos pièces de l’affiche ; mais, à toutes nos plaintes, on pouvait faire d’un seul mot des réponses magnifiques, on pouvait nous répondre : Marengo ! Iéna ! Austerlitz !

» Alors, je le répète, c’était grand ; aujourd’hui, c’est petit. Nous marchons à l’arbitraire comme alors, mais nous ne sommes pas des colosses. Notre gouvernement n’est pas de ceux qui peuvent consoler une grande nation de la perte de sa liberté. En fait d’art, nous déformons les Tuileries ; en fait de gloire, nous laissons périr la Pologne. Cela n’empêche pas nos petits hommes d’état de traiter la liberté comme s’ils étaient taillés en despotes ; de mettre la France sous leurs pieds, comme s’ils avaient des épaules à porter le monde. Pour peu que cela continue encore quelque temps, pour peu que les lois proposées soient adoptées, la confiscation de tous nos droits sera complète. Aujourd’hui on