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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/134

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LA PITIÉ SUPRÊME.

Triste d’avoir toujours devant son œil pensif
Les mêmes flots brisés sur le même récif,
Indigné, devenu dur et farouche à force
De voir avec le droit la loi faire divorce,
Et triompher l’épée et la hache, et le mal
Retomber sur le front sacré de l’idéal,
Perd patience et dit :

Perd patience et dit « — La couronne est un crime ;
« Toute la royauté n’est qu’un lugubre abîme ;
« Le seul pouvoir d’un roi qui vient après un roi,
« C’est de faire changer d’attitude à l’effroi ;
« L’histoire est l’affreux puits du forfait solidaire ;
« Au bois de l’échafaud le bois du trône adhère ;
« Tout sceptre épouse un glaive, et la pourpre descend
« Sur les peuples en mare effroyable de sang.
« Le droit divin, miasme horrible ! et l’on respire,
« En régnant, la fureur et l’ombre avec l’empire ;
« C’est par un escalier de cadavres qu’on va
« À ces pavois sanglants que la force éleva ;
« Leurs vrais degrés, ce sont les marches gémonies.
« Pour cinq ou six héros, pour deux ou trois génies,
« Que d’étranges bourreaux, que de fous, que de nains !
« Et combien de Nérons pour quelques Antonins !
« Un roi de tous les rois, quoi qu’il fasse, est la somme.
« L’antique despotisme est le tourment de l’homme ;
« Depuis quatre mille ans, sous le grand ciel serein,
« L’humanité rugit dans ce taureau d’airain ;
« Et l’imprécation ne choisit pas ; et l’ombre
« Ne sent pas un rayon dans les douleurs sans nombre.
« Depuis quatre mille ans ce globe, aveugle enfer,
« Pleure et grince des dents sous les trônes de fer ;
« Les rois sont des Plutons dont la terre est l’Erèbe.
« Sur, ces durs chevalets, guerre, famine, glèbe,
« Le genre humain râlait dans le bagne fatal,
« Scié par deux bourreaux, l’ignorance et le mal ;
« La mort, entre ses doigts qu’une flamme environne,