Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
LA PITIÉ SUPRÊME.

« Tournant l’horrible scie, en a fait la couronne.
« Est-il un roi sans deuil, sans trouble et sans remords ?
« Hélas ! en est-il un qui, s’il va chez les morts,
« Ne s’entende nommer tout bas dans l’ossuaire ?
« Tout monarque est un pli de l’immense suaire.
« Les meilleurs font pleurer, saigner, souffrir, crier ;
« Trajan est proscripteur, Titus est meurtrier ;
« Ces despotes sont hors de la loi naturelle.
« Et qu’est-ce que pourrait bégayer Marc-Aurèle
« Entre Octave, l’ancêtre, et Commode, le fils ?
« Tarquin tient Rome, Thèbe est sous Aménophis,
« Jean règne sur la neige et Rustem sur les sables,
« Tous se mêlent dans l’ombre, et tous sont responsables ;
« On voit tous les mauvais sous les bons transparents,
« Nuit triste ! le lion et le loup sont parents ;
« On a le monde j on mange, on rit, on se tutoie
« Entre vautours, d’un bout à l’autre de la proie ;
« Mahomet, appelant Hildebrand par son nom,
« Lui frappe sur l’épaule et lui dit : compagnon !
« Ah ! du fauve océan toute goutte est amère.
« Le Kremlin voit, pendant qu’il tette encor sa mère
« Poindre un rictus d’hyène au petit Pierre enfant ;
« Charles-Quint, qui dompta l’Europe en l’étouffant,
« Boa sombre, a pour fils le livide crotale ;
« La vieillesse est funèbre et l’enfance est fatale ;
« Ô mystère effrayant dés rois infortunés !
« Démons quand ils sont morts, monstres dès qu’ils sont nés,
« Le genre humain les compte en comptant ses supplices,
« Et de tous leurs cercueils leurs berceaux sont complices.
« Quand le peuple au gibet s’agite agonisant,
« Pas un fil de la corde, hélas ! n’est innocent ;
« Quand le monde est aux fers dans l’affreuse géhenne,
« Tout chaînon a sa part du crime de la chaîne.
« Est-il de bons rois ? Non, dit Épictête ; non,
« Dit Platon ; non, dit Jean à Pathmos, et Zénon
« Dit : Il est de bons rois comme de bonnes haches.
« Les abeilles, les lys, les soleils, sont des taches.