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l’alta fantasia de la rime, éclatant en accords si rares, qu’ils font songer à des timbres d’instruments de musique inconnus.

Un bas-relief de la cathédrale de Chartres montre un âne accroupi dans une stalle de chantre, et jouant gravement du rebec. Le poème de l'Âne vient d’enchâsser une sculpture semblable dans le monument colossal de Victor Hugo. Mais, au lieu du rauque instrument gothique, cet âne transfiguré tient la grande lyre où résonnent toutes les voix du siècle, et dont le monde retentit depuis soixante ans.

Victor Hugo, l’homme et le poète.

E. DUPUY.

L'Âne poursuit, sur un autre sujet, le même but que Religions et Religion. Des observateurs superficiels ont cru que Hugo y faisait le procès de la science. Il serait douloureux de penser que Victor Hugo, le poète ou le prophète du progrès, recale devant la véritable route de la civilisation. Mais au fond c’est à l’érudition niaise et pédantesque, à la fausse science qu’il en veut. Il voit en elle un auxiliaire de ce qu’il croit la fausse religion et comme un instrument de dégradation des âmes au service de la tyrannie.

En forgeant des pédants, vous créez des valets. À ces maîtres d’avilissement, il veut substituer la grande école de liberté, la sereine et sublime initiatrice qui l’a formé, la nature.

… Mais cette fausse science elle-même, ce pédantisme, où se perd le sens de la sagesse vraie, le poète les juge ; il ne les maudit pas. Désormais, à ses yeux, tout, même le mal, a son utilité, sa raison d’être ; le faux est comme la base obscure et infime du vrai.

Le Temps.

CLARETIE.

(25 octobre 1880.)

… Français (de Nantes) et M. Toussenel dans sa Zoologie passionnelle ont voulu venger l’âne de la réputation qu’on lui a faite. Sobre, laborieux, patient, l’âne a bien des vertus, et le roussin d’Arcadie, cet Auvergnat des animaux, ne mérite- pas toutes les sottises qu’on lui attribue ; mais Victor Hugo lui-même. dans un de ses plus admirables livres, avait déjà montré la bonté de l’âne, ce traîneur de chariots, exténué sous la lourdeur du panier et les coups de fouet de l’homme, et faisant grâce au crapaud que des enfants assommaient à coups de pierres… Bonté’ de l’Idiot ! s’écriait alors le poète de la Légende des siècles. . . L'Âne que Victor Hugo publie aujourd’hui procède de la même inspiration que ces vers, c’est en cote un dédaigné et un bafoué, un Triboulet de la création que le poète venge.

… Mais, chose imprévue, dans ce poème c’est l'Âne qui raille les railleurs, c’est Patience, le bourriquet, qui, s’adressant au philosophe Kant, lui demande ce qu’il fait de la nature, de l’enfance, du sourire, de la bonté, de tout ce qui est la véritable science.

Rien de plus vivant qu’un tel poème, d’une satire si profondément émue. Certes, nul plus que nous ne respecte la science, cette grande force du siècle — la souveraine puissance — aujourd’hui que les œuvres les plus admirables du génie humain sont des travaux d’ingénieurs de ponts et chaussées, de mécaniciens, ou des découvertes de chimistes et de physiologistes. Mais la science n’est pas tout, elle a au-dessus d’elle une autre science qu’on pourrait appeler la Science du savoir. Le pédant qui ne sait point porter légèrement le poids de ce qu’il a appris est le frère du vrai savant aimable et profond comme Caïn est le frère d’Abel. C’est au pédant, ce n’est pas à Kant, à dire vrai, que s’adresse l’âne Patience.

Cette fois on criera bravo sur le baudet

La Patrie.

François COPPÉE.

(1er novembre 1880.)

Quand le soleil se lève tous les oiseaux chantent ; quand Victor Hugo publie un poème tous les esprits se réjouissent.

Nous venons de lire d’une seule haleine et dans la fièvre de l’enthousiasme le nouveau livre de celui que tous les poètes appellent avec une tendresse respectueuse le Père. Jamais le génie de Victor Hugo, qui aura tout à l’heure 80 ans, n’a été plus jeune ; jamais son inspiration ne s’est élevée d’un vol plus libre et plus audacieux dans les hautes et sereines régions de la pensée ; elle y plane sans effort.