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ATTENTAT DE JOSEPH HENRI[1]


19 juillet 1846, minuit.

Suzanne, la femme de chambre, vient de rentrer. Elle est allée à la fête. Elle a vu le feu d’artifice. Elle a dit en entrant — elle était radieuse :

— Ah ! madame, quel bonheur ! C’est mon cousin qui a arrêté l’homme qui a tiré sur le roi.

— Comment ! quoi ! on a tiré sur le roi ?

— Oui, et mon cousin a arrêté l’homme ! quel bonheur ! C’est ce soir, tout à l’heure. Le roi était au balcon. L’homme a tiré deux coups de deux pistolets à la fois dans ses deux mains. Il a manqué le roi. Oh ! on a applaudi, applaudi ! Le roi était content. C’est lui qui a désigné d’où est parti la fumée. Mais mon cousin, qui est sergent de ville en bourgeois, était là. Tout près de l’homme. Il n’a eu qu’à se tourner. C’est lui qui a arrêté l’homme.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Joseph Legros.

— L’assassin ?

— Non, mon cousin. C’est un grand. L’homme est un petit. Je ne sais plus comment il s’appelle, j’ai oublié. Il avait l’air triste. Il faisait semblant de pleurer. Quand on l’a emmené il disait comme ça : — Ah ! mon Dieu ! il faudra donc que je meure ! — Il a cinquante ans. On a trouvé de l’or sur lui. Il va passer une mauvaise nuit tout de même. Mon cousin est bien content, et monsieur le curé aussi est bien content. (C’est un chanoine de Notre-Dame qui loge sur le même carré que le cousin sergent de ville.) Quel bonheur ! hein, madame, quel bonheur !




30 juillet.

Il y a, ici près, rue de Limoges, 8, une maison à porte cochère, de grave et morne apparence, quelque ancienne maison parlementaire, avec une

  1. Joseph Henri vint se placer à 90 mètres du balcon des Tuileries où se trouvait le roi avec la reine et les princesses et tira deux coups de feu. On sut qu’il était dévoué au gouvernement et qu’il votait avec les conservateurs, mais qu’il avait, depuis quinze ans, l’esprit troublé. (Note de l’éditeur.)