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me vint fantaisie de remplacer une séance à l’Académie par une visite à la Conciergerie, à l’imitation de Frederick Lemaître qui, jouant Robert Macaire, fit annoncer un beau jour sur l’affiche que, ce soir-là, le cinquième acte serait remplacé par un ballon.

Je tournai donc à droite dans la petite cour, je sonnai à la grille du guichet, on m’ouvrit, je me nommai. J’avais sur moi ma médaille de pair. On me donna un guichetier pour me guider partout où je voudrais aller.

La première impression qui frappe lorsqu’on entre dans une prison, c’est un sentiment d’obscurité et d’oppression, une diminution de respiration et de clarté, je ne sais quoi de nauséabond et de fade qui se mêle au lugubre et au funèbre. La prison a son odeur comme elle a son clair obscur. L’air n’y est plus de l’air, le jour n’y est plus du jour. Des barreaux de fer ont donc quelque pouvoir sur ces deux choses libres et divines, l’air et la lumière !

La salle où l’on entrait d’abord n’était autre chose que l’ancienne salle des gardes de saint-Louis, halle immense, divisée par des cloisons en une foule de compartiments pour les besoins de la prison. Partout des ogives, des cintres surbaissés et des piliers à chapiteaux ; le tout raclé, ratissé, aplani et abâtardi par l’horrible goût des architectes de l’empire et de la restauration. Je fais cette remarque une fois pour toutes, tout l’édifice ayant été arrangé de cette façon. On voyait encore dans cette salle des gardes à droite en entrant le coin à mettre les piques, marqué par une ogive-imposte à demi engagée dans l’angle des deux murs.

L’avant-greffe où je me trouvais est le lieu où se faisait autrefois la toilette des condamnés. Le greffe était à gauche. Il y avait dans ce greffe un bonhomme fort poli, enfoui sous des cartons, entouré d’armoires, qui se leva à mon entrée, ôta son bonnet, fit allumer une chandelle et me dit :

— Monsieur veut sans doute voir Héloïse et Abeilard ?

— Pardieu, dis-je, je ne demande pas mieux.

Le bonhomme prit la chandelle, dérangea un carton vert qui portait cette inscription : Sortie du mois, et me montra dans un coin obscur, derrière une grande armoire, un pilier avec un chapiteau représentant un moine et une nonne adossés, la nonne tenant dans sa main un énorme phallus. Cela était peint en jaune et s’appelait Héloïse et Abeilard.

Mon bonhomme reprit :

— Maintenant que Monsieur a vu Héloïse et Abeilard, il veut sans doute voir le cachot des condamnés à mort ?

— Sans doute, répondis-je.

— Conduisez Monsieur, dit le bonhomme au guichetier.

Puis il se replongea dans ses cartons. Cet être paisible est chargé des écrous.