Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/196

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Je rentrai dans l’avant-greffe, où j’admirai en passant une vaste et superbe table rocaille du goût Louis XV le plus vif et le plus joli, avec marbre contourné ; du reste sale, hideuse, engluée de badigeon jadis blanc, et rencognée dans l’obscurité.

Puis je traversai une chambre sombre, encombrée de bois de lits, d’échelles, de vieux tessons et de vieux châssis. Dans cette chambre, le guichetier m’ouvrit une porte avec un affreux bruit de grosses clefs et de verrous tirés, et me dit :

— Voilà, Monsieur.

Je pénétrai dans le cachot des condamnés à mort.

C’était une pièce assez vaste, voûtée, basse, pavée de l’antique pavage de saint-Louis, pierres de liais carrées alternant avec des carreaux d’ardoises. Des pavés manquaient çà et là. Un soupirail assez large, cintré, armé de ses barreaux et de sa hotte, y jetait une sorte de jour blanc et blafard. Point d’autres meubles qu’un ancien poêle en fonte du temps de Louis XV, orné de panneaux en relief que la rouille empêchait de distinguer, et devant la lucarne un grand fauteuil à bras en bois de chêne, qui était une chaise percée. Le fauteuil était du temps de Louis XIV, et garni de cuir qui se déchirait et laissait passer le crin. Le poêle était à droite de la porte.

Mon guide m’expliqua que, lorsque le cachot était occupé, on y dressait au fond un lit de sangle. Un gendarme et un gardien, relevés de trois heures en trois heures, veillaient nuit et jour près du condamné, toujours debout, sans chaises et sans lits, pour qu’ils ne pussent s’endormir.

Nous revînmes à l’avant-greffe sur lequel s’ouvraient encore deux salles : le parloir des prisonniers privilégiés qui obtenaient de recevoir leurs visites autrement que derrière une double grille, et le « salon de MM. les avocats » qui avaient le droit de communiquer librement et tête-à-tête avec leurs clients. Ce « salon », ainsi qualifié par l’inscription placée sur la porte, était une longue salle éclairée d’un soupirail, garnie de longs bancs de bois et pareille à l’autre parloir.

Il paraît que quelques jeunes avocats avaient en certains cas abusé du tête-à-tête légal. Les voleuses et les empoisonneuses sont quelquefois fort jolies. On s’était aperçu de l’abus et l’on avait adapté au « salon » une porte vitrée. De cette façon, on ne pouvait pas entendre, mais on pouvait voir.

En ce moment survint le directeur de la Conciergerie, qui s’appelait M. Lebel. C’était un vieillard à l’air respectable, avec quelque finesse dans le regard. Il avait une longue redingote et le ruban de la Légion d’honneur à sa boutonnière.

Il s’excusa près de moi de n’avoir pas été averti plus tôt de ma présence, et