Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Champs-Élysées, à droite les Tuileries, qui, négligées et livrées au caprice du passant, n’étaient plus qu’un amas de collines et de terrassements informes ; qu’on pose sur ces mélancoliques édifices, sur ces arbres noirs et effeuillés, sur cette morne multitude le ciel sombre et glacial d’une matinée d’hiver, on aura une idée de l’aspect qu’offrait la place de la Révolution au moment où Louis XVI, traîné dans la voiture du maire de Paris, vêtu de blanc, le livre des psaumes à la main, y arriva pour mourir à dix heures et quelques minutes, le 21 janvier 1793.

Étrange excès d’abaissement et de misère, le fils de tant de rois, enveloppé de bandelettes et sacré comme les rois d’Égypte, allait être dévoré entre deux couches de chaux vive, et à cette royauté française, si grande jusque dans la mort, qui avait eu à Versailles un trône d’or et à Saint-Denis soixante sarcophages de granit, il ne restait plus qu’une estrade de sapin et un cercueil d’osier.

Nous ne dirons pas ici les détails connus. En voici qu’on ignore. Les bourreaux étaient au nombre de quatre ; deux seulement firent l’exécution ; le troisième resta au pied de l’échelle et le quatrième était monté sur la charrette qui devait transporter le corps du roi au cimetière de la Madeleine et qui attendait à quelques pas de l’échafaud.

Les bourreaux étaient en culottes courtes, vêtus de l’habit à la française tel que la Révolution l’avait modifié, et coiffés de chapeaux à trois cornes que chargeaient d’énormes cocardes tricolores. Ils exécutèrent le roi le chapeau sur la tête, et ce fut sans ôter son chapeau que Sanson, saisissant aux cheveux la tête coupée de Louis XVI, la présenta au peuple et en laissa, pendant quelques instants, ruisseler le sang sur l’échafaud.

Dans ce même moment, son valet ou son aide défaisait ce qu’on appelait les sangles ; et, tandis que la foule considérait tour à tour le corps du roi entièrement vêtu de blanc, comme nous l’avons dit, et encore attaché, mains liées derrière le dos, sur la planche-bascule, et cette tête dont le profil doux et bon se détachait sur les arbres brumeux et sombres des Tuileries, deux prêtres, commissaires de la Commune, chargés par elle d’assister, comme officiers municipaux, à l’exécution du roi, causaient à haute voix et riaient aux éclats dans la voiture du maire. Jacques Roux, l’un d’eux, montrait dérisoirement à l’autre les gros mollets et le gros ventre de Capet.

Les hommes armés qui entouraient l’échafaud n’avaient que des sabres et des piques ; il y avait fort peu de fusils. La plupart portaient de larges chapeaux ronds ou des bonnets rouges. Quelques pelotons de dragons à cheval en uniforme étaient mêlés à cette troupe de distance en distance. Un escadron entier de ces dragons était rangé en bataille sous les terrasses