Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/215

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fois sa famille. Il part, retourne dans sa ville, fait son testament, embrasse son vieux père et sa vieille mère, dit adieu à tout ce qu’il aimait dans ce monde, et revient près de l’empereur.

Six mois s’étaient écoulés. Les rois d’Orient ont des caprices mélancoliques et tenaces.

— Ah ! te voilà, musicien, dit Shah-Akbar d’un air doux et triste, sois le bienvenu. Tu vas me chanter le rang Ihupuck.

Nouveaux tremblements et nouvelles supplications de Naïk-Gopaul. Mais l’empereur tint bon. C’était l’hiver. La Jumna était gelée, on y patinait. Naïk-Gopaul fait casser la glace et se met dans l’eau jusqu’au cou.

Il commence à chanter. Au deuxième vers, l’eau était chaude ; à la deuxième strophe, la glace était fondue ; à la troisième strophe, la rivière se mit à bouillir. Naïk-Gopaul cuisait, il était couvert d’ampoules. Au lieu de chanter, il se mit à crier :

— Grâce, sire !

— Continue, dit Akbar qui n’aimait pas médiocrement la musique.

Le pauvre diable se remit à chanter ; sa face était cramoisie, les yeux lui sortaient de la tête, il chantait toujours, l’empereur écoutait avec volupté ; enfin, quelques étincelles pétillèrent dans les cheveux hérissés du ténor.

— Grâce ! cria-t-il une dernière fois.

— Chante, dit l’empereur.

Il commença la dernière strophe en hurlant. Tout à coup les flammes jaillirent de sa bouche, puis de tout son corps, et le feu le dévora au milieu de l’eau.

Voilà un des effets habituels de la musique de ce démon Mahidis qui était représenté sur la cheminée démolie.

Il avait une femme appelée Parbutta, qui est l’auteur de ce que les Indous appellent le sixième rang. Trente rangines, musique d’un ordre femelle et inférieur, ont été dictés par Boimha. Ce sont ces trois diables ou dieux qui ont inventé la gamme composée de vingt et une notes qui forme la base de la musique de l’Inde.

Comme nous nous retirions, trois hommes en habit noir, conduits par un porte-clefs, passaient près de nous ; c’étaient des visiteurs.

— Trois nouveaux députés, me dit tout bas M. Lebel.

Ils avaient des favoris, de hautes cravates et parlaient comme des académiciens de province. Ils admiraient beaucoup. Ils s’extasiaient surtout devant les travaux faits pour embellir la prison et l’approprier aux besoins de la justice. L’un d’eux soutenait que Paris s’embellissait prodigieusement, grâce aux architectes de bon goût qui modernisaient (sic) les anciens édifices ; et il affirmait que l’Académie française devrait faire de ces embellissements de Paris le sujet