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[NOTES ÉPARSES.]


Avril 1841.

Le mois passé, à Rome, un sculpteur quelconque nommé, je crois, Lemoine, invite M. Ingres à venir voir un groupe de sa façon dans son atelier. M. Ingres y va, le statuaire découvre le groupe, c’est un fort gros marbre, une œuvre énorme, il y a pâli cinq ans.

M. Ingres tourne autour de la chose, silencieux, et suivi du sculpteur pantelant. M. Ingres regarde, scrute, examine, met ses mains autour de ses yeux, fait un cornet de papier et regarde le groupe au travers pour mieux l’isoler, etc. Une demi-heure se passe ainsi sans dire mot. Enfin le sculpteur tremblant se risque et dit à M. Ingres : — Eh bien ! Monsieur, que pensez-vous de mon groupe ? — M. Ingres se tourne et répond : — Moi ? J’aime mieux une borne.




Il y a encore à Boulak sur la porte d’une grande vieille masure cette inscription : Caserne du 3e régiment de dragons. On voit à l’une des portes d’Alexandrie un caisson laissé là par le général Marmont pendant la campagne d’Égypte. Les arabes ne l’ont pas dérangé et il se rouille, respecté comme un monument, à l’endroit même où les français l’ont dételé[1]. — Je me rappelle avoir vu à Burgos, en 1811, nos soldats se faire une cible du tombeau du Cid.




30 mai.

Hier, je dînais chez Waleswski. Thiers nous contait qu’il y a deux ans, après sa sortie du ministère, il visitait de compagnie avec M. de Montrond, l’ami goutteux de Talleyrand, les bords du lac de Côme. Au haut d’une

  1. M. Corbelet, consul général à Alexandrie, m’a conté tous ces détails aujourd’hui même 29 mai 1841. (Note de Victor Hugo.)