Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/192

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Mercredi, dix heures et demie du soir[1].

Je t’obéis, mon Adèle, et je termine mon travail par un bonheur. Que tu as été cruelle ce soir de dire que j’étais indifférent à tes larmes ! Cette parole m’est restée sur le cœur, plus amère encore que tes larmes. Tu ne sais pas que j’aurais voulu racheter de tout le sang de mes veines chacun de tes pleurs. Hélas ! tu souffres en ce moment peut-être, je t’ai laissée souffrante, et ce n’est pas le moment de te faire des reproches. Oh oui ! j’ai éprouvé ce soir de bien vives douleurs. Ne crains rien, Adèle, tu as assez de tes peines, sans que je cherche à te faire partager les miennes. Cependant si tu avais pu ce soir voir tout ce que je souffrais en secret pendant que tes yeux adorés pleuraient, il se serait mêlé à tes larmes quelques larmes de pitié pour moi. Au moment où tu me croyais calme et froid, Adèle, tu ne sais pas ce qui se passait dans le cœur de ton Victor. Oublions tout cela ; qu’importe ce que j’ai souffert, quand tu as pleuré ! Ton découragement profond me désolait, parce qu’il me semblait ne pouvoir venir que du défaut de confiance en ton mari. Tu as daigné me rassurer, tu veux bien que je vive puisque tu me permets de compter sur ton amour. Ô mon Adèle bien-aimée, dans cette soirée je ne veux me souvenir que de tes caresses angéliques, elles ont été le baume de mes plaies. Adieu donc. Pourquoi ces caresses adorées sont-elles loin de moi quand j’en aurais tant besoin ? Je t’embrasse. À demain.


Jeudi, onze heures du matin.

Bientôt je te verrai, mon Adèle, et je te verrai, j’espère, un peu heureuse de la journée que nous allons passer ensemble. Il me tarde bien de savoir comment tu as passé cette nuit. Adieu pour un instant, je ne sais si tu pourras lire ce griffonnage. Je vais m’habiller. Je t’embrasse bien tendrement.

Victor[2].
  1. Inédite.
  2. Collection Louis Barthou.