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1820.


À Monsieur Pinaud.


18 avril 1820.
Monsieur,

Les instances seules de quelques amis avaient pu me décider à envoyer à l’Académie des Jeux Floraux l’ode de Moïse dont je sentais moi-même, le premier, les nombreuses imperfections. L’Académie, en accordant à cet ouvrage une amaranthe réservée, a bien outrepassé mes espérances, et je sens que je dois considérer ce prix moins comme une récompense que comme un encouragement. Je me plais à reconnaître la justesse des critiques qui me sont faites, et je pense de plus qu’en blâmant dans mon ode l’absence de tout mouvement lyrique[1], l’Académie aurait pu en trouver une des causes dans le choix du rhythme qui, par sa terminaison féminine, est incapable de rendre avec quelque éclat les images imposantes et les grandes pensées qu’aurait dû faire éclore un pareil sujet. Ce rhythme, qu’André de Chénier a employé avec tant de bonheur dans sa Jeune captive, est, à la vérité, naturellement mélodieux, mais il n’est ni assez grave ni assez sonore pour la haute poésie. Voilà encore un de mes torts : en joignant cette nouvelle critique aux critiques si judicieuses de l’Académie, j’ignore si je n’agis pas avec maladresse, mais je sais que j’agis avec franchise, et je suis persuadé que cela ne me nuira point auprès de vous. Quant aux observations de détail, je regrette que le temps ne me permette pas de rendre mon ode plus digne de la flatteuse distinction dont vous l’avez honorée. Je pense toutefois que l’on peut, dans la première strophe, changer chastes plaisirs en jeux innocents[2] et, dans la huitième, ses malheurs ont ému mon amour[3] en ses malheurs éveillent mon amour, si vous jugez toutefois que ces corrections puissent être admises. Je regrette, je le répète, que le temps me manque ; j’aurais essayé, en revoyant sévèrement mon ode, de mériter mieux vos honorables suffrages. Dans l’impossibilité, il me reste, monsieur, à vous prier de

  1. « L’Académie a pensé que votre ode, bien qu’écrite dans le style harmonieux et pur qui distingue si généralement vos ouvrages, ne porte pas assez l’empreinte de l’inspiration... On vous a su beaucoup de gré d’avoir monté votre ode au ton lyrique dans les trois dernières strophes, mais ce mouvement a paru court, comparé à ce qui précède. »
  2. Dans la 1re strophe, l’épithète chaste n’a pas été trouvée assez chaste dans la bouche d’Iphis.
  3. Dans la 8e « ses malheurs ont ému mon amour. » (Lettre de M. Pinaud, 11 avril 1820.)