Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/421

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épée et ma culotte. J’ai lu tes lettres avec délices sous une grande averse, dont je me suis à peine aperçu. Je suis arrivé sans lever les yeux devant le portail de la cathédrale, et j’y étais depuis dix minutes sans le voir. Je te lisais, ma bien-aimée ! Nodier et M. Emmin, député de Besançon et son ami, m’ont rejoint. Nous avons dîné ensemble au Grand Hôtel du Sacre. M. Emmin, qui est un charmant compatriote, a payé, ce qui nous oblige à lui rendre à dîner. Tout est hors de prix. Après le dîner, il a fallu aller au spectacle. Quelle corvée ! J’y ai vu notre excellent ami Beauchesne[1], dont j’aime à te parler. Nous sommes rentrés à onze heures, couchés à minuit, éveillés à six heures, et je t’écris, d’abord sur le pupitre de Cailleux, puis (en ce moment) sur le secrétaire de M. de La Rochefoucauld, que je suis venu voir et qui est absent.

Le voilà qui va rentrer, il faut finir cette lettre. Adieu, mon Adèle, embrasse tes bons parents. Dis à papa que Nodier veut absolument qu’il soit pair de France, et dit que cette dignité ne peut manquer à un homme aussi honorable. Si Nodier était roi ! Adieu, encore, chère ange ; je t’embrasse comme tu sais, comme je baise tes adorables lettres.

Nous partons le 31. Écris-moi à Paris dès le 28. Adieu encore, et encore un baiser.

J’écrirai bientôt à papa[2].


À Madame Victor Hugo.


Reims, 27 mai, 3 h. 3/4 après-midi.

Quel chagrin, mon Adèle ! pas de lettres aujourd’hui ! Tu me grondes un peu dans ta dernière lettre. Je n’étais pas coupable. Je veux te supposer innocente aussi de ce retard ; mais quelle qu’en soit la cause, je suis bien affligé. Figure-toi avec quelle impatience j’attends une lettre de toi dans mon isolement, et quel vide reste dans mon cœur quand j’ai couru inutilement à la poste. Toute ma joie de la journée a disparu ; il ne me reste qu’une consolation, c’est de relire, c’est de baiser cent mille fois tes douces lettres. Je n’ai pas la force de te dire que j’ai vu la cathédrale, et ce que j’y ai admiré ou critiqué. Adieu pour aujourd’hui, bien-aimée ! ma lettre serait

  1. Chef de cabinet de La Rochefoucauld au département des Beaux-Arts.
  2. Bibliothèque nationale.