Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/45

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Jeudi, à 1 heure du matin (29 mars).

Encore un mot, de grâce, mon Adèle. Sais-tu que je me résigne bien difficilement à rester un mois sans te parler, un mois éternel ? Permets-moi du moins cette consolation de te voir encore une fois avant une si longue absence. D’ailleurs, puis-je être un long mois tout entier sans te remercier du don charmant que tu me fais, en même temps que tu m’imposes une bien cruelle obligation. Je ne sais, mon Adèle adorée, quelle expression employer pour te peindre ma joie en recevant ce gage de notre éternelle union, j’ai fait mille extravagances, ces cheveux sont à toi, mon Adèle, c’est une partie de toi-même que je possède déjà ; comment te payer de tout ce que tu fais pour moi ? Je n’ai qu’une misérable vie, mais elle t’appartient, c’est encore bien peu de chose. Fais donc de moi tout ce que tu voudras, je suis ton mari et ton esclave.

Cependant, je commence, diras-tu, par te désobéir ; Adèle, songe qu’il faudra ensuite attendre tout un mois. Un mois ! Dieu ! quinze jours n’auraient-ils pas suffi ? Quinze jours sont déjà si longs ! Je t’en supplie, réfléchis et tâche de m’annoncer le 28 avril qu’à l’avenir nous nous verrons tous les quinze jours ; j’obéirai pour le triste mois d’avril, puisque l’arrêt est porté ; mais tâche que, cette épreuve passée, l’obéissance ne soit plus si dure.

Adèle, je le vois, je suis plus égoïste que je ne croyais ; cependant, songe à la longueur d’un mois. Que deviendrais-je en ton absence, grand Dieu, si je ne pouvais presser sur mon cœur cette boucle de cheveux qui ne me quittera plus ?

Adieu, ma femme, ma bien-aimée Adèle, pardonne-moi de t’avoir écrit. Je t’embrasse tendrement.

Ton mari fidèle,
V.-M. Hugo.

Dans le cas où, ce qu’à Dieu ne plaise, nos relations éprouveraient quelque obstacle, tu peux écrire en toute sûreté à l’adresse que je t’ai donnée. Adieu pour ce grand mois.

Songe surtout qu’il me faudra le 28 avril une longue lettre, une espèce de journal de toutes tes pensées, de toutes tes actions. Adieu.