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À Victor Pavie.


Paris, 29 février [1828].

Je ne vous ai pas encore remercié, mon jeune poëte, de votre bonne lettre, de la lettre de votre excellent père. Je sais que vous êtes tous deux pleins d’indulgence pour moi comme pour mes œuvres, et mon deuil profond, mon deuil inconsolable ne m’excuse que trop près d’amis tels que vous. J’ai perdu l’homme qui m’aimait le plus au monde[1], un être noble et bon, qui mettait en moi un peu d’orgueil et beaucoup d’amour, un père dont l’œil ne me quittait jamais. C’est un appui qui me manque de bien bonne heure ! Oh ! mon bien cher Victor, priez Dieu qu’il vous laisse longtemps votre père !

Vous savez la petite infortune advenue à Paul. C’est un bien petit malheur près d’un bien grand. J’ai dû le couvrir de mon mieux dans cette occurrence[2]. D’ailleurs, c’est moi qui lui avais porté malheur. La plébécule cabalante qui a sifflé Amy Robsart croyait siffler Cromwell par contre-coup. C’est une malheureuse petite intrigue classique qui ne vaut pas, du reste, la peine qu’on en parle.

Adieu, mon poëte. Comment en êtes-vous encore à me demander une place dans mon amitié ? N’êtes-vous pas déjà de mes vieux amis ? La perte de mon père me laisse un vide immense et profond ; mais vous êtes de ceux qui le rempliraient s’il pouvait être rempli.

Votre frère,

Victor.


À Victor Pavie.


Paris, 17 juillet 1828.

Vous êtes en droit de m’en vouloir, mon poëte, car depuis les longues semaines que vous nous avez quittés, comment ai-je répondu à votre correspondance, à votre charmante lettre, et à cette autre correspondance imprimée qui m’a apporté tour à tour votre bel article de la Ronde du Sabbat, les remarquables strophes sur Smarra, et enfin l’excellent morceau sur le Faust des deux grands poëtes, Gœthe et Delacroix.

  1. Le général Hugo était mort le 29 janvier 1828.
  2. Victor Hugo avait attribué la paternité de son premier drame écrit à vingt ans, Amy Robsart, à son beau-frère, Paul Foucher, afin de lui faciliter l’accès du théâtre. Mais une levée de boucliers s’étant élevée contre Cromwell et sa préface qui venait de paraître, les classiques écrasèrent Amy Robsart, sous les sifflets. Victor Hugo alors, par une note publiée dans les journaux, s’en déclara le collaborateur. Amy Robsart, jouée au théâtre de l’Odéon le 15 février 1828, n’eut pas de seconde représentation.