Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/103

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priée également de faire en sorte que mon ancien collègue Martin (de Strasbourg)[1] (qui a refusé le serment ces jours passés) vienne un peu causer avec toi de, ce que j’aurais à faire pour mettre ce que nous possédons en France (meubles et revenus de théâtre) à l’abri des lois Bonaparte contre mon livre. Tu as raison de penser que le projet annoncé par le Siècle me concerne. Il y a là une menace, la menace deviendra fait, il faudra y parer. Mme  David priera Martin (de Strasbourg) d’en conférer avec toi et de te dire ce qu’il me conseillerait pour abriter notre avoir, le cas échéant.

Toutes tes objections contre le déménagement sont parfaitement fondées. Il faudrait seulement trouver moyen de louer et être sûrs que nos meubles ne seraient pas confisqués et vendus par le Bonaparte. — Songe à tout cela. — Ton projet d’écrire sur moi me plaît fort, tu feras un charmant et excellent travail intime, et je ferai de mon mieux pour te donner les matériaux.

Dis à ma bonne petite Adèle qu’elle m’a écrit une charmante lettre, pleine de cœur et d’esprit, et que je lui en veux beaucoup de ne pas m’écrire tous les jours. Une page seulement, et je serais content. Gronde un peu mon Victor qui s’amuse, c’est juste, mais qui ne m’écrit pas, c’est moins bien[2]. Pour parler sérieux, je recommande à Victor de vivre beaucoup plus avec toi, et de mêler un peu de bon travail à ses plaisirs ; les plaisirs n’en vaudront que mieux. Il n’aura pas seulement la joie du dehors, il aura la satisfaction intérieure.

Puis-je regarder l’affaire de Charles au Siècle comme faite ? Charles peut-il se mettre à ce travail ? Dans tous les cas, je lui ai dit de commencer, de faire tout de suite une lettre, et de l’envoyer à Louis Desnoyers. La lettre, bien réussie, fera réussir l’affaire. Qu’en penses-tu ?

La gaîté d’Auguste nous fait du bien. C’est là un homme fort. Il rit de ce bon rire robuste qui vient d’un grand cœur. Nous avons lu sa lettre avec bonheur. Dis-le lui bien. Je lui écrirai bientôt, ainsi qu’à notre cher Paul Meurice, dont je tiens en ce moment le Benvenuto. Je n’ai lu encore que la préface qui est très haute et très belle. Dumas, avec qui j’ai passé hier la soirée chez Van Hasselt, m’a dit que le succès d’argent était énorme, 3 000 fr. tous les soirs. Je félicite Paul Meurice et surtout le public.

  1. Martin (de Strasbourg), avocat, fut élu représentant du Bas-Rhin en 1848. Partisan du général Cavaignac, il combattit la politique de Louis Bonaparte. Non réélu à l’Assemblée législative, il ne fut pas compris dans le décret d’expulsion ; après le coup d’État, il vendit sa charge d’avocat au Conseil d’État pour ne pas prêter serment à l’empereur.
  2. François-Victor avait été libéré presque de force sur l’intervention de Napoléon Bonaparte, cousin de l’empereur et ami de la famille Hugo, qui avait cru être agréable à Mme  Victor Hugo en faisant gracier son fils. (Voir Actes et Paroles, Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale).