Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/150

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finies. — Victor m’a dit : Cela ne prouverait pas que l’Empire durerait peu. » — Je vous envoie le mot.

D’ici je n’ai rien à vous dire que vous ne sachiez. Nous vous aimons. Nous aimons tout ce talent et tout ce courage qui se dépense à côté de vous. Quand je pense à la France, et c’est toujours, je pense à vous. Il semble que vous soyez pour moi une partie de la figure de la France. Je ne vois pas la patrie en laid, comme vous croyez !...

Voici le printemps qui arrive... On me dit que dans un mois Jersey sera un bouquet. Je vous l’offre. Oui, venez. Vous l’avez promis. Vous verrez ma petite cabane sur laquelle viennent s’écumer, sans lui faire peur ni trouble, la mer et la haine. Ce sera charmant de vous voir ; nous mettrons en commun chacun ce que nous avons, vous vos triomphes et votre splendeur, moi ma solitude et mes rêves. Vous échangerez votre Paris contre mon océan. Et puis vous me permettrez de vous aimer sous les deux espèces, comme une charmante femme et comme un grand esprit.

À vos pieds.

Avez-vous vu Mme  Dillon ? Vous a-t-elle remis un mot de moi ?[1]


À Louise Colet[2].


Marine-Terrace, 17 mars 1853.

Si toutes mes pensées vous arrivaient, vous recevriez à chaque minute une lettre de moi. Éprouvez-vous ceci : ne pas écrire parce qu’on ne peut tout dire. Cependant je ne veux pas que vous me croyiez abruti ou ingrat, et je vous écris. Cette lettre vous parviendra-t-elle ? La poste la mettra-t-elle dans sa poche ? Oh ! le beau temps que celui de Virgile où les vents se chargeaient des messages des poëtes et les portaient aux dieux ! — Et même aux déesses. — Vous voyez qu’ils vous seraient arrivés.

Cet hiver a été sombre, pluie, brouillard et ouragan, mais j’y ai eu une

  1. Collection de M. Détroyat.
  2. Louise Colet débuta en 1836 par un recueil de poésies ; ses poèmes furent plus d’une fois couronnés par l’Académie Française ; elle publia plusieurs volumes de vers et quelques-uns de prose. Sa liaison avec Flaubert fut assez mouvementée et elle eut une certaine célébrité dans le monde des lettres par son aventure avec Alphonse Karr qu’elle tenta de poignarder parce qu’il l’avait critiquée et raillée. — Victor Hugo, dès 1850, avait vivement recommandé à la bienveillance de ses collègues à l’Académie un poème de Louise Colet : La Colonie de Mettray. Quand il eut quitté Paris et jusqu’à la fin de l’exil, Louise Colet entretint avec Victor Hugo une correspondance suivie ; elle fit même le voyage de Jersey pour l’aller voir et le poète ne cessa de l’encourager et de la conseiller.