Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/162

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il me semble que cette fois vous déviez un peu. Je vais venir à la déviation, mais je commence par l’approbation. J’approuve tous vos arrangements pour l’imprimerie[1], faites, allez, mettez la chose en train. J’accepte tout pour ma part dans les termes où vous me l’écrivez. Donc vous n’êtes pas compromis, ni laissé là par moi. Il est excellent d’avoir une imprimerie, et soyez tranquille, je vous donnerai de l’ouvrage.

Cela posé et bien dit, voici en quoi selon moi vous déviez : vous abandonnez l’idée de l’édition expurgée, vous voulez ne plus faire qu’une édition, vous vous leurrez à ce sujet complètement d’illusions ; point de procès, dites-vous ; détrompez-vous. Vous aurez procès, et si vous n’êtes pas très alerte et très adroit (qualités que vous avez, vous, mais qui manquent aux belges, témoin Tarride), vous aurez saisie de l’édition peut-être entière. Quant au procès, vous savez que je ne puis venir le plaider, pas d’illusion encore. Vous le perdrez, et comme le livre sera déclaré incendiaire, vous aurez le maximum, plus la saisie maintenue.

Voyez ce que devient l’affaire dans ce cas. Or, je connais le livre et je vous prédis à coup sûr. — Avec l’édition tronquée, aucun de ces dangers ; on paraît, on est à l’abri, on est inattaquable. Oui, dites-vous, mais l’édition clandestine ? Oh ! ici, il y a péril, mais péril beaucoup moindre qu’avec une seule édition. Dans ce dernier cas, c’est vous, c’est le gérant qui courez tous les dangers. Dans le cas de la clandestine, vous ne risquez presque rien. S’il y a procès, qui sera poursuivi ? le maladroit vendeur quelconque, Rosez peut-être ou tout autre qui se laissera pincer. Dans ce cas-là, ni le procès, ni l’amende, ni la prison ne nous regardent. Voyez l’avantage. — Je comprends que vous dites : oui, mais comment imprimer les deux éditions de front avec une seule imprimerie, la nôtre, quelle lenteur ! Et puis, en justice, on reconnaîtra nos caractères et quelle que soit l’étiquette du sac, Genève ou Bréda, on nous condamnera. Ici je reprends la parole et je dis : — Sans doute, mais profitons de ce qui a été fait des deux côtés, tirons à la fois parti de l’imprimerie de Bruxelles et de l’imprimerie de Jersey ; l’imprimerie de Jersey fera l’édition clandestine, l’imprimerie de Bruxelles l’édition tronquée ; pas de temps perdu, pas d’identité de caractères ; tous les périls évités, tous les avantages réalisés. J’insiste sur tout cela. Songez-y. Cela me paraît être absolument le vrai. De cette façon nous tirons parti

  1. Hetzel, le 11 mai, avait écrit à Victor Hugo : « Nous avons une imprimerie qui est à nous. Nous imprimons publiquement, une seule édition. Nous n’avons ni les frais ni les ennuis d’une édition expurgée. Nous tirerons à 10 000. Nous distribuerons nos dix mille avant la mise en vente. Ils sont partout le jour où nous mettons en vente ostensiblement, puis nous attendons le procès s’il le faut, et nous le gagnons très probablement, car l’esprit public a fait un grand pas ici contre Napoléon.