Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/516

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tique peint, et dans votre éloquence il y a une philosophie. Du reste, c’est la règle ; c’est la règle sans exception : qui est splendide est profond.

Cette loi est dans la nature comme dans l’art. Elle éclate dans le soleil, et se répercute dans Homère.

Sur cette roche où je vis dans la brume et dans la tempête, je suis parvenu à me désintéresser de toute chose, excepté des grandes manifestations de la conscience et de l’intelligence. Je n’ai jamais eu de haine, et je n’ai plus de colère. Je ne regarde plus que les beaux côtés de l’homme ; je ne me courrouce plus que contre le mal absolu, plaignant ceux qui le font ou qui le pensent. J’ai profondément foi au progrès, les éclipses sont des intermittences, et comment douterais-je du retour de la liberté puisqu’à tous mes réveils j’assiste au retour de la lumière !

Vous êtes, dans ce temps trop tourné vers la matière, un distributeur d’idéal, vous rendez aux esprits cet immense service de leur faire comprendre l’âme universelle, démontrée par les chefs-d’œuvre dans l’art comme par les prodiges dans la création. Vous êtes une des lumières du beau et du vrai. Toutes les fois que mon nom tombe de votre plume, il me semble que j’entends un bruit de gloire. Je vous remercie.

Votre ami,
Victor Hugo.

J’ai à peine le droit de vous dire ce que je pense de votre admirable article ; laissez-moi pourtant ajouter un mot. Jamais analyse plus puissante et plus pénétrante n’a été au cœur d’une œuvre. Ensemble et détail, tout est saisi. Rien n’échappe à votre vision magistrale. La critique souveraine, c’est cela[1].


À Verboeckhoven.


H. H. 12 décembre [1865].

In haste. Je reçois votre mot, cher monsieur Verboeckhoven, et d’abord, dites ma profonde sympathie à M. Lacroix[2]. Ces pertes-là, qui font saigner le cœur, voilà, hélas ! les vraies plaies, les seules. Je ne sache pas de douleurs plus poignantes. J’écrirais à Mme  Lacroix si je ne sentais qu’il ne faut pas, dans une si horrible angoisse, toucher au cœur d’une mère, même pour le consoler. Lisez, je vous prie, ces quelques lignes à M. Lacroix et transmettez-lui mon serrement de main, muet, ex imo corde.

  1. Collection Paul de Saint-Victor.
  2. Albert Lacroix venait de perdre un enfant.