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LE RHIN.

les faits, je n’exagère rien. — Vous entrez dans un lieu quelconque ; à la porte de la ville, un estafier s’informe de l’hôtel où vous comptez descendre, vous demande votre passe-port, le prend et le garde. La voiture s’arrête dans la cour de la poste ; le conducteur, qui ne vous a pas adressé un regard pendant toute la route, se présente, vous ouvre la portière et vous offre la main d’un air béat. Pourboire. Un moment après, le postillon arrive à son tour, attendu que cela lui est défendu par les règlements de police, et vous adresse une harangue charabia qui veut dire : pourboire. On débâche ; un grand drôle prend sur la voiture et dépose à terre votre valise et votre sac de nuit. Pourboire. Un autre drôle met le bagage sur une brouette, vous demande à quel hôtel vous allez, et se met à courir devant vous, poussant sa brouette. Arrivés à l’hôtel, l’hôte surgit et entame avec vous ce petit dialogue, qu’on devrait écrire dans toutes les langues sur la porte de toutes les auberges. — Bonjour, monsieur. — Monsieur, je voudrais une chambre. — C’est fort bien, monsieur. (À la cantonade :) Conduisez monsieur au <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 4 ! — Monsieur je voudrais dîner. — Tout de suite, monsieur, etc., etc. — Vous montez au <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 4. Votre bagage y est déjà. Un homme apparaît, c’est celui qui l’a brouetté à l’hôtel. Pourboire. Un second arrive, que veut-il ? C’est celui qui a apporté vos effets dans la chambre. Vous lui dites : — C’est bon, je vous donnerai en partant, comme aux autres domestiques. — Monsieur, répond l’homme, je n’appartiens pas à l’hôtel. — Pourboire. Vous sortez. Une église se présente, une belle église. Il faut y entrer. Vous tournez alentour, vous regardez, vous cherchez. Les portes sont fermées. Jésus a dit : Compelle intrare ; les prêtres devraient tenir les portes ouvertes, mais les bedeaux les ferment pour gagner trente sous. Cependant une vieille femme a vu votre embarras, elle vient à vous et vous désigne une sonnette à côté d’un petit guichet. Vous comprenez, vous sonnez, le guichet s’ouvre, le bedeau se montre, vous demandez à voir l’église ; le bedeau prend un trousseau de clefs et se dirige vers le portail. Au moment où vous allez entrer dans l’église, vous vous sentez tirer par la manche ; c’est l’obligeante vieille que vous avez oubliée, ingrat, et qui vous a suivi. Pourboire. Vous voilà dans l’église ; vous contemplez, vous admirez, vous vous récriez. — Pourquoi ce rideau vert sur ce tableau ? — Parce que c’est le plus beau de l’église, dit le bedeau. — Bon, reprenez-vous, ici on cache les beaux tableaux, ailleurs on les montrerait. De qui est ce tableau ? — De Rubens. — Je voudrais le voir. — Le bedeau vous quitte et revient quelques minutes après avec un individu fort grave et fort triste. C’est le custode. Ce brave homme presse un ressort, le rideau s’ouvre, vous voyez le tableau. Le tableau vu, le rideau se referme, et le custode vous fait un salut significatif. Pourboire. En continuant votre promenade dans l’église, toujours remorqué par le bedeau, vous arrivez à la grille du chœur, qui est