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LE RHIN.

et renouvelée à chaque tournant du Rhin, de la façon dont le prêtre doit être situé dans la société humaine. Les princes ecclésiastiques multiplient les édifices dans le Rhingau, comme avaient fait mille ans auparavant les préfets de Rome. L’archevêque Baudoin de Trèves bâtit l’église d’Oberwesel ; l’archevêque Henri de Wittingen construit le pont de Coblentz sur la Moselle ; l’archevêque Walram de Juliers sanctifie par une croix de pierre magnifiquement sculptée les ruines romaines et le piton volcanique de Godersberg, ruines et collines quelque peu suspectes de magie. Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel se mêlent dans ces princes comme dans le pape. De là une juridiction double qui prend l’âme et le corps et ne s’arrête pas, comme dans les états purement séculiers, devant le bénéfice de clergie. Jean de Barnich, chapelain de Saint-Goar, empoisonne avec le vin de la communion sa dame, la comtesse de Katzenellenbogen ; l’électeur de Cologne, comme son évêque, l’excommunie, et, comme son prince, le fait brûler vif.

De son côté, l’électeur palatin sent le besoin de protester perpétuellement contre les empiétements possibles des trois archevêques de Cologne, de Trèves et de Mayence ; et les comtesses palatines vont faire leurs couches, en signe de souveraineté, dans la Pfalz, tour bâtie devant Caub au milieu même du Rhin.

En même temps, au milieu de ces développements simultanés ou successifs des princes-électeurs, les ordres de chevalerie prennent position sur le Rhin. L’ordre Teutonique s’installe à Mayence, en vue du Taunus, tandis que, près de Trèves, en vue des Sept-Montagnes, les chevaliers de Rhodes s’établissent à Martinshof. De Mayence l’ordre Teutonique se ramifie jusqu’à Coblentz, où une de ses commanderies prend pied. Les Templiers, déjà maîtres de Courgenay et de Porentruy dans l’évêché de Bâle, avaient Boppart et Saint-Goar au bord du Rhin, et Trarbach entre le Rhin et la Moselle. C’est ce même Trarbach, le pays des vins exquis, le Thronus Bacchi des romains, qui appartint plus tard à ce Pierre Flotte, que le pape Boniface appelait borgne de corps et aveugle d’esprit.

Tandis que les princes, les évêques et les chevaliers faisaient leurs fondations, le commerce faisait ses colonies. Une foule de petites villes marchandes germèrent, à l’imitation de Coblentz sur la Moselle et de Mayence devant le Mein, au confluent de toutes les rivières et de tous les torrents que versent dans le Rhin les innombrables vallées du Hündsruck, du Hohenruck, des crêtes de Hammerstein et des Sept-Montagnes. Bingen se posa sur la Nahe ; Niederlahnstein, sur la Lahn ; Engers, vis-à-vis de la Sayn ; Irrlich, sur la Wied ; Linz, en face de l’Aar ; Rheindorf, sur les Mahrbachs ; et Berghein, sur la Sieg.