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FREIBURG EN BRISGAW.

l’autre son portemanteau, tous fort allemands et fort endormis. Mes réclamations les éveillèrent pourtant un peu, et ils me répondirent. Mais pas un mot de français chez eux, pas un mot d’allemand chez moi. Nous baragouinions de part et d’autre à qui mieux mieux. Je finis cependant par comprendre que cette porte cochère n’était pas un hôtel ; c’était la maison de la poste, et rien de plus. Comment faire ? où aller ? Ici on ne me comprenait plus. Je les aurais bien suivis ; mais la plupart étaient des fribourgeois qui rentraient chez eux, et ils s’en allaient tous de différents côtés. J’eus le déboire de les voir partir ainsi les uns après les autres jusqu’au dernier, et au bout de cinq minutes je restai seul sous la porte cochère. La voiture était repartie. Ici, je m’aperçus que mon sac de nuit, qui contenait non seulement mes hardes, mais encore mon argent, avait disparu. Cela commençait à devenir tragique. Je reconnus que c’était là un cas providentiel ; et, me trouvant ainsi tout à coup sans habits, sans argent et sans gîte, perdu chez les sarmates, qui plus est, je pris à droite, et je me mis à marcher devant moi. J’étais assez rêveur. Cependant le soleil, qui n’abandonne personne, avait continué sa route. Il faisait petit jour ; je regardais l’une après l’autre toutes les maisons, comme un homme qui aurait bonne envie d’entrer dans une ; mais elles étaient toutes badigeonnées en jaune et en gris et parfaitement closes. Pour toute consolation, dans mon exploration fort perplexe, je rencontrai une exquise fontaine du quinzième siècle, qui jetait joyeusement son eau dans un large bassin de pierre par quatre robinets de cuivre luisant. Il y avait assez de jour pour que je pusse distinguer les trois étages de statuettes groupées autour de la colonne centrale, et je remarquai avec peine qu’on avait remplacé la figure en grès de Heilbronn, qui devait couronner ce charmant petit édifice, par une méchante Renommée-Girouette de fer-blanc peint. Après avoir tourné autour de la fontaine pour bien voir toutes les figurines, je me remis en marche.

À deux ou trois maisons au delà de la fontaine, une lanterne allumée brillait au-dessus d’une porte ouverte. Ma foi, j’entrai.

Personne sous la porte cochère.

J’appelle, on ne répond pas.

Devant moi, un escalier ; à ma gauche, une porte bâtarde.

Je pousse la porte au hasard ; elle était tout contre, elle s’ouvre. J’entre, je me trouve dans une chambre absolument noire, avec une vague fenêtre à ma gauche.

J’appelle :

— Hé ! quelqu’un !

Pas de réponse.

Je tâte le mur, je trouve une porte ; je la pousse, elle s’ouvre.