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LES BORDS DE LA MEUSE. — DINANT…

de fleurs et de beaux arbres éclairés par le ciel rayonnant du matin. Des vergers entourés de haies vives montent et descendent pêle-mêle des deux côtés du chemin. La Meuse, étroite et verte, coule à gauche profondément encaissée dans un double escarpement. Un pont se présente ; une autre rivière, plus petite et plus ravissante encore, vient se jeter dans la Meuse, c’est la Lesse ; et à trois lieues, dans cette gorge qui s’ouvre à droite, est la fameuse grotte de Han-sur-Lesse. La voiture passe outre et s’éloigne. Le bruit des moulins à eau de la Lesse se perd dans la montagne. La rive gauche de la Meuse s’abaisse, gracieusement ourlée d’un cordon non interrompu de métairies et de villages ; la rive droite grandit et s’élève ; le mur de rochers envahit et rétrécit la route ; les ronces du bord frissonnent dans le vent et dans le soleil, à deux cents pieds au-dessus de nos têtes. Tout à coup un rocher pyramidal, aiguisé et hardi comme une flèche de cathédrale, apparaît à un tournant du chemin. C’est la Roche à Bayard, me dit le conducteur. La route passe entre la montagne et cette borne colossale, puis elle tourne encore, et, au pied d’un énorme bloc de granit couronné d’une citadelle, l’œil plonge dans une longue rue de vieilles maisons, rattachée à la rive gauche par un beau pont et dominée à son extrémité par les faîtages aigus et les larges fenêtres à meneaux flamboyants d’une église du quinzième siècle. C’est Dinant.

On s’arrête à Dinant un quart d’heure, juste assez de temps pour remarquer dans la cour des diligences un petit jardin qui seul suffirait pour vous avertir que vous êtes en Flandre. Les fleurs en sont fort belles, et au milieu de ces fleurs il y a trois statues peintes, en terre cuite. L’une de ces statues est une femme. C’est plutôt un mannequin qu’une statue, car elle est vêtue d’une robe d’indienne et coiffée d’un vieux chapeau de soie. Au bout de quelques instants, à un petit bruit qu’on entend et à un rejaillissement singulier qu’on entrevoit sous ses jupes, on s’aperçoit que cette femme est une fontaine.

Le clocher de l’église de Dinant est un immense pot à l’eau. Cependant, vue du pont, la façade de l’église a un grand caractère, et toute la ville se compose à merveille.

À Dinant on quitte la rive droite de la Meuse. Le faubourg de la rive gauche, qu’on traverse, se pelotonne admirablement autour d’une vieille douve croulante de l’ancienne enceinte. Au pied de cette tour, dans un pâté de maisons, j’ai entrevu en passant un exquis châtelet du quinzième siècle avec sa façade à volutes, ses croisées de pierre, sa tourelle de briques et ses girouettes extravagantes.

Après Dinant la vallée s’ouvre, la Meuse s’élargit ; on distingue sur deux croupes lointaines de la rive droite deux châteaux en ruine ; puis la vallée