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Genève.


Aix-les-Bains, 24 septembre.

Bonjour, maman, bonjour, mon Adèle chérie ; je mets le numéro 9 à cette lettre ; le numéro 8 est une longue lettre commencée où je te raconte la suite de ma grande ascension du Rigi, et que je n’ai encore pu finir tant je voyage rapidement en ce moment. Je te la finirai et tu la recevras bientôt. En attendant je ne veux pas te laisser sans lettre, et je t’écris en toute hâte ces quelques petites pages. Je suis à Aix-les-Bains. Tu vois comme je descends en hâte vers le midi. Il fait un temps affreux en Suisse. Plusieurs routes vers le nord sont rompues.

J’ai passé à Lausanne avant-hier, mon Adèle, et j’ai bien songé à toi. Nous n’avons qu’entrevu Lausanne, tu t’en souviens, par un beau clair de lune, en 1825. L’église, quoique belle, est au-dessous de l’idée qui m’en était restée. Le soir, par un hasard étrange, précisément le même clair de pleine lune est revenu et j’ai revu l’église aussi belle qu’en 1825. La lune est le cache-sottises des architectes. La cathédrale de Lausanne a un peu besoin de la lune.

Genève a beaucoup perdu et croit, hélas ! avoir beaucoup gagné. La rue des Dômes a été démolie. La vieille rangée de maisons vermoulues, qui faisait à la ville une façade si pittoresque sur le lac, a disparu. Elle est remplacée par un quai blanc, orné d’une ribambelle de grandes casernes blanches que ces bons genevois prennent pour des palais. Genève, depuis quinze ans, a été raclée, ratissée, nivelée, tordue et sarclée de telle sorte qu’à l’exception de la butte Saint-Pierre et des ponts sur le Rhône il n’y reste plus une vieille maison. Maintenant, Genève est une platitude entourée de bosses.

Mais ils auront beau faire, ils auront beau embellir leur ville, comme ils ne pourront jamais gratter le Salève, recrépir le Mont-Blanc et badigeonner le Léman, je suis tranquille.

Rien de plus maussade que ces petits Paris manqués qu’on rencontre maintenant dans les provinces en France et hors de France. On s’attend à une vieille ville avec ses tours, ses devantures sculptées, ses rues historiques, ses clochers gothiques ou romans, et l’on trouve une fausse rue de Rivoli, une fausse Madeleine qui ressemble à la façade du théâtre Bobino, une fausse colonne Vendôme qui a l’air d’une colonne-affiche.

Le provincial prétend faire admirer cela au parisien ; le parisien hausse les