Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/24

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comte de Genève, à Dieu et à saint-Michel archange[1], avant que l’homme eût tracé aucun sentier sur la croupe de cette montagne, si quelquefois le chasseur de chamois, entraîné par l’ardeur de sa poursuite jusque dans cette gorge formidable, arrivait au point même où nous sommes, il embouchait avec un tremblement d’horreur la corne à bouquin suspendue à sa ceinture, et faisait entendre trois fois l’appel magique : hi ! ha ! ho ! Trois fois, une voix lui rapportait distinctement des profondeurs de l’horizon la triple adjuration hi ! ha ! ho ! Alors il s’enfuyait plein d’épouvante, et allait conter dans les vallées qu’un chamois-fée l’avait attiré par delà le château de Saint-Michel, et qu’il avait entendu la voix de l’Esprit des Montagnes Maudites.

Aujourd’hui, dans ce même lieu, des voyageurs élégants, des femmes parées descendent de leurs chars à bancs sur une route assez bien nivelée. De petits garçons déguenillés accourent avec un long porte-voix. Ils en tirent des sons aigus qui ressemblent encore à l’ancienne adjuration du chasseur. Une voix des montagnes les répète encore distinctement sur un ton plus faible et plus lointain. Et puis, si vous demandez à ces enfants : qu’est

  1. Un savant, originaire de ces montagnes mêmes, a bien voulu communiquer à l’auteur la pièce suivante, qui nous semble assez curieuse, et qui était à peu près inconnue.
    Fondation du Prieuré de Chamonix
    par Aymon,, comte de Genève.
    « In nomine sanctæ et individux Trinitatis.
    « Ego, Aymo, comes Gebennensis, et filius meus Geroldus, damus et concedimus Domino Deo Salvatori nostro, et sancto Michaeli Archangelo, de Clusâ omnem campum munitum cum appenditiis suis, ex aquâ quæ vocatur Dionsa, et rupe quæ vocatur Alba, usque ad Balmas, sicut ex integro ad comitatum meum pertinere videtur ; id est, terras, sylvas, alpes, venationes, omnia placita et banna ; et monachi Deo et Archangelo servientes hoc totum habeant et tencant sine contradictione alicujus hominis, et nihil nobis nisi elecmosynas et orationes pro animabus nostris et parentum nostrorum retincmus, ut sanctus Michael Archangelus perducat nos et illos in paradisum exultationis. Si quis autem, quod absit, hoc donum confringere voluerit, in anathemate et maledictione sit, sicut Datan et Abiron, quousque resipiscat et satisfaciat. Ex istis ergo donis sunt legitimi testes, uterini fratres comitis Willelmus Fulciniacus, et Amedeus, et Thurumbertus de Nangiaco, et Albertus miles, et Agueldrandus presbyter, et Silico.
    « Ego Andreas, comitis capellanus, hane cartam præcepto ipsius comitis scripsi, et tradidi ferrâ septimâ lunâ 27c, papa Urbano regnante. »

    Au bas de cet acte pend le sceau du comte en cire blanche, et, quoiqu’il soit sans date, on conjecture, par le règne du pape (Urbain II, qui siégea depuis l’an 1088 jusqu’en 1099), qu’il fut passé environ l’an 1090, époque à laquelle ce même comte, conjointement avec Gérard son fils, fit une donation assez considérable au monastère de Saint-Oven de Joux. Le prieuré de Chamonix, fondé par Aymon, comte de Genève, du temps du pape Urbai II, avant 1099, dépendait de l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse. Guillaume de la Ravoyre, qui en fut le dernier prieur, en procura l’union à la collégiale de Sallanches. Guifrey, qui en était prieur avant 1229, fut présent, le 12 des calendes de mai, à la cession qu’Aymon, seigneur de Faucigny, fit de Chamonix à Guillaume, comte de Genève ; Guillaume de Villette fut prieur en 1319. Aux nones de juillet, Hugues, dauphin, seigneur de Faucigny, lui confirma la juridiction du prieuré de Chamonix et de ses dépendances.