Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/338

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christ de bois peint saignant à larges gouttes sous sa couronne d’épines. Un bénitier à côté. Les soldats de garde jouent de la guitare et des castagnettes. Affreux pavé de petits cailloux.

L’aspect de Saint-Sébastien est celui d’une ville rebâtie à neuf, régulière et carrée comme un damier.


Tout en dînant, j’entendais des rires dans la rue et des castagnettes. Je sors, une nuée d’hommes étranges m’entoure ; déguenillés, drapés de haillons, fiers et élégants comme les figures de Callot ; chapeaux d’incroyables du Directoire ; petites moustaches ; air noble, spirituel et effronté. On crie autour de moi : los estudiantes ! los estudiantes ! Ce sont des écoliers de Salamanque en vacances. L’un d’eux s’approche de moi, me salue, et me tend son chapeau. J’y jette une peseta. Il se relève. Tous crient : Viva ! Ils courent ainsi le pays demandant l’aumône. Quelques-uns sont riches. Cela les amuse. En Espagne, demander l’aumône n’a rien de choquant. Cela se fait.

J’entre chez un barbier. Cet artiste habite une façon de caverne. Trois grands murs et un plafond ; pas de fenêtres ; une porte au fond. Le logis est meublé d’un miroir Louis XV exquis, de deux gravures coloriées d’Austerlitz et de Marengo, d’un petit enfant, et de quatre ou cinq grandes roues comme il pouvait y en avoir jadis au logis du bourreau. Cet homme parle quatre langues, sent très mauvais et rase admirablement.

Voici son histoire. Il est né à Aix-la-Chapelle, et parle allemand. L’empereur en a fait un français et l’empire un soldat, il parle français. Les espagnols en 1811 l’ont fait prisonnier, il parle espagnol. Il s’est marié dans le pays et a épousé une basquaise, comme il dit. Il parle basque. Voilà ce que c’est que d’avoir des aventures en quatre langues différentes.

Couvent ruiné près de Saint-Sébastien. Ruine assez belle, de loin surtout. L’église est du seizième siècle. La tour croule. Les pierres de la voûte se détachent et tombent à mes pieds pendant que je dessine. Une pauvre famille s’y est installée dans un coin de ce qui a été le jardin. Elle a muré à demi la porte d’une chapelle et en a fait une étable. Il y a des anges peints sur le mur. Comme dans la crèche on y voit le râtelier, le bœuf et l’âne.

Auster Oyarbide, basque spirituel, se charge de porter mes effets. Il les soupèse. — C’est lourd ! — Combien veux-tu. ? — Une peseta. — C’est dit. — Il charge le tout sur sa tête et semble gémir du poids. À la porte de la ville, en sortant, il rencontre une femme, une pauvre vieille femme, pieds nus, déjà chargée. Il va à elle, lui dit en basque je ne sais quoi ; la femme s’arrête. Il lui charge tout son paquet sur la tête dans le vaste panier