Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hasard, mais chacune de ces vieilles paraissait s’accoupler à une gargouille qui tendait le cou au-dessus de sa tête, au bord du toit. Par instants, les vieilles levaient les yeux au ciel et semblaient échanger de tendres regards avec les gargouilles.

Une de ces mendiantes sauvages attachait sur moi un œil plus fixe et plus fauve que les autres. Je suis allé droit à elle, ce qui a paru l’étonner ; puis je lui ai montré l’église et je lui ai dit : Guiltza. ce qui signifie en basque : la clef. La gargouille vivante, apprivoisée par ce mot magique et par une demi-piécette que j’ai jetée dans son tablier, s’est dressée debout et m’a dit : Bay c’est-à-dire : oui. Elle a disparu derrière l’église.

Je suis resté seul devant le porche. Les autres vieilles s’étaient toutes levées et s’étaient groupées à un angle d’où elles me regardaient.

Quelques moments après, celle qui s’était éloignée a reparu tenant une clef. Elle a ouvert la porte de l’église, et j’y suis entré.

Était-ce l’heure, la nuit qui s’approchait ? la disposition de mon esprit ou l’émanation même de l’édifice ? jamais je n’ai ressenti impression plus glaçante qu’en pénétrant dans cette église.

C’était une haute nef, nue au dedans comme elle l’était au dehors, sombre, froide, misérable et grande, à peine éclairée par les reflets blafards et terreux d’un jour crépusculaire.

Au fond, derrière le tabernacle, sur une estrade de pierre, se développait du pavé à la voûte un immense dessus d’autel, chargé de statues et de bas-reliefs, jadis doré, maintenant rouillé, étageant sur une surface de soixante pieds de haut les formidables saints de l’Inquisition mêlés à l’architecture tragique et sinistre de Philippe II. Cet autel, entrevu dans cette ombre, avait je ne sais quoi d’impitoyable et de terrible.

La vieille avait allumé un lumignon, qui scintillait dans une grande lampe de fer blanc estampé, d’un beau goût, suspendue devant l’autel. Ce lumignon n’ôtait rien à l’obscurité et ajoutait quelque chose à l’horreur.

Le prêtre monte à cet autel par un large degré qu’encaisse une rampe de pierre massive admirablement ouvrée dans ce goût sombre et élégant de Charles-Quint, qui répond à ce que nous nommons en France le style François Ier, et à ce qu’on nomme en Angleterre l’architecture Tudor.

J’ai monté cet escalier, et de là j’ai regardé l’église, qui est vraiment majestueuse et funèbre.

La vieille était je ne sais où dans quelque coin ténébreux.

La porte était restée entr’ouverte, et je voyais au loin la campagne déjà couverte d’ombre, le ciel assombri, le bras de mer, vaste grève à sec en ce moment ; sur le premier plan, une ruine qui était une cabane ; sur le second