Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/417

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Enfin, comme mes yeux se baissaient vers la terre, je distinguai dans l’obscurité une sorte de frémissement métallique, une ligne de moire lumineuse, et je reconnus qu’un ruisseau traversait la cabane de part en part.

Ce ruisseau, qui coulait rapidement, sur un plan oblique et incliné, dans une poutre creuse enfoncée à fleur de terre, débouchait dans la cabane par un trou fait dans un mur et sortait par le mur opposé. Là il faisait dans le ravin la petite chute d’eau que j’avais remarquée en arrivant.

Chambre singulière où la montagne semblait se sentir chez elle et entrait familièrement : le rocher s’y logeait ; le ruisseau y passait.

Pendant que je faisais ces observations dans l’attitude élégiaque d’un rêveur qui n’a pas soupé, les mules, déchargées et démuselées, arrachaient paisiblement les longs brins de foin qui pendaient du plafond.

Ce que voyant, Escumuturra fit signe à l’hôte, qui les poussa vers le fond de la cabane et leur jeta à chacune une botte de fourrage.

Cependant mes compagnons s’étaient installés, qui sur un ballot, comme moi, qui sur une selle posée à terre ; Azcoaga s’était couché tout de son long, enveloppé dans sa muleta.

L’hôte avait échafaudé dans la cheminée deux fagots de genêts sur un monceau de fougères sèches. Il en approcha son flambeau de résine ; en un clin d’œil un grand feu pétillant monta dans l’âtre avec des tourbillons d’étincelles, et une belle lueur flambante et vermeille, emplissant la cabane, fit saillir en relief sur les enfoncements sombres les croupes des mules, la cage aux poules, le veau endormi, les espingoles cachées, le rocher, le ruisseau, les brins de paille pendant du plafond comme des fils d’or, les âpres visages de mes compagnons et les yeux hagards de l’enfant effarouché.