clusivement adoptée pour le volume du
Rhin ; l’un de ces chapitres inédits nous
révèle l’idée que Victor Hugo se faisait
de la Forêt-Noire. À cette même date de
1840 il écrivait de Hausach, forêt Noire,
à Mlle Louise Bertin :
Je vous écris au milieu des neiges, mademoiselle, et j’espère que cette lettre vous trouvera au milieu des rayons du soleil. Je suis dans la Forêt-Noire, et vous aux Roches. Ce pays est magnifique, mais froid, sombre et dur. Dites bien, je vous prie, à votre excellent père, que tous les sapins de la Forêt-Noire ne valent pas l’acacia qui est dans la cour.
Toute la plaine est blanche autour de moi, ce qui tranche résolument avec les bois, couleur d’encre. Il fait un vent de bise, décembre habite pendant huit mois de l’année dans ce pays. Ce sont des beautés, mais des beautés sévères. Vous, mademoiselle, vous avez des beautés douces.
Détachons aussi d’une lettre à Mme Victor
Hugo ce passage curieux :
Il a fait dans la Forêt-Noire un de ces temps horribles qui sont magnifiques dans les lieux horribles. C’est presque une bonne fortune qu’un orage dans les sapinières de la Murg. J’ai eu cette bonne fortune, mais j’ai été trempé jusqu’aux os.
L’aubergiste de Rippoldsau dans la Forêt-Noire m’a dit qu’on avait encore tiré sur Louis-Philippe, mais qu’heureusement le coup avait manqué comme toujours. Je remarque, chose bizarre, que toutes les fois que je m’absente de Paris, il arrive des catastrophes autour de Louis-Philippe. Pendant mon voyage de 1835, Fieschi ; pendant mon voyage de 1836, Alibaud ; pendant mon absence de 1837, rien, c’était l’année de l’amnistie ; en 1838 je n’ai voyagé que huit jours ; mais en 1839 j’étais à Troyes quand cette folle, la femme Girondelle, a jeté une pierre au roi qui a blessé la reine ; et en 1840, j’apprends un autre événement dans la Forêt-Noire. N’est-ce pas singulier ?
Rien à dire des courtes excusions de
1844 et 1849 ; en revanche, l’excursion
de 1859 est tout à fait caractéristique.
C’est la première fois, depuis qu’il est
en exil, que Victor Hugo voyage. Plutôt
partie de plaisir entre amis. Victor Hugo
était en plein travail de la Légende des Siècles,
il avait envoyé à Bruxelles, avant
son départ, la fin du tome Ier et il avait
besoin de se délasser avant d’achever
son œuvre. Pendant son séjour dans l’île
de Serk, il cause avec les pêcheurs, recueille
leurs confidences, s’informe de
leurs habitudes ; c’est en voyant les matelots
descendre la falaise à pic et se
servir d’une corde à nœuds qu’il appliqua
la même manœuvre à Gilliatt sur
les Douvres ; il voit la pieuvre pour la
première fois, et c’est bien là qu’il
amasse les premiers matériaux pour son
futur roman des Travailleurs de la mer.
S’il s’absente désormais un ou deux
mois chaque année à partir de 1862,
c’est qu’il a, durant son séjour à Guernesey,
pendant sept années consécutives,
fourni un effort colossal et s’est
replié sur lui-même, vivant en dehors
du monde, produisant avec une prodigieuse
fécondité, soumettant son cerveau
à de rudes épreuves, sans halte,
sans répit. Il a le droit de sentir la fatigue
et de craindre la maladie ; la prudence
et les médecins lui conseillent
de s’évader quelques semaines de sa
prison. Sans doute il travaillera encore
en voyage ; le travail est nécessaire à sa
santé, mais ce n’est plus le surmenage
et cette excitation quotidienne et prolongée
d’un cerveau qui enfante sans
relâche ; il se repose en visitant des
villes qu’il ne connaît pas et en revoyant
des paysages qu’il a aimés, il respire un
air moins rude que celui de son île :
Livrée à tous les vents qui descendent du pôle.
Il fait des provisions de force et il renouvelle ses impressions ; il se remet un peu dans la vie du monde, après tant d’années d’une existence solitaire ; et voilà pourquoi, comme un collégien