Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/623

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qui goûte la liberté des champs, il mettra dans ses récits de la bonne humeur, de la gaîté, de l’ironie : il est en vacances.

En 1862, 1865 et 1864, Victor Hugo fît chaque année un voyage d’un ou deux mois sur le Rhin ; en 1865, après un séjour d’un mois et demi à Bruxelles, pendant lequel il avait lu à ses éditeurs le manuscrit des Chansons des rues et des bois, il partit de nouveau pour son excursion annuelle sur les bords du Rhin et revint à Bruxelles pour recevoir la fiancée de son fils Charles et les parents de la fiancée. Le mariage eut lieu le 17 octobre. Le 24, Victor Hugo partait de Bruxelles pour retourner à Guernesey, par Ostende, Douvres, Londres et Weymouth. Il rentrait le 30 octobre par une horrible tempête.

En 1867, Victor Hugo voyagea en Zélande du 18 au 25 août ; Charles Hugo, qui l’accompagnait, fut l’historiographe de cette tournée. Son petit volume : Victor Hugo en Zélande, qu’il ne signa pas, est un récit plein de verve avec de piquantes anecdotes et de jolies descriptions. Ah ! il n’était pas aisé, à cette époque, de visiter la Zélande et d’atteindre Middelburg, le chef-lieu. Il fallait aller d’Anvers à Wemeldingen en bateau, prendre là un omnibus pour vous conduire à Goes, de Goes se rendre à pied jusqu’à un bras de l’Escaut, le Sloë, traverser l’Escaut, et, quand on avait débarqué, Middelburg était encore à plus de deux lieues qu’il fallait parcourir à pied. Mais les circonstances favorisèrent les voyageurs ; le bateau le Telegraf, qui devait partir le lendemain matin, avait pour capitaine M. Van Maenen. Victor Hugo avait soigneusement caché son état civil ; peine inutile ! le capitaine l’avait fort galamment dévoilé en disant que pour tout autre voyageur cette expédition serait hérissée de difficultés plus ou moins insurmontables, mais qu’il se chargeait de tout aplanir ; et en effet, au sortir du bateau, Victor Hugo était attendu par M. de Putte, le fils du sénateur de la Zélande, averti par M. Van Maenen, et à Goes, M. Van de Putte lui-même avait reçu chez lui la caravane et avait présenté à Victor Hugo un ministre protestant qui lui dit : « Je salue en vous le héros de la révolution littéraire et le prophète de la révolution sociale. Vos Misérables sont la magna Charta humaine. » À chaque étape, Victor Hugo trouvait des hôtes prêts à l’accueillir ; des chambres avaient même été retenues d’avance, à son insu, à Middelburg.

Victor Hugo visita les monuments : l’hôtel de ville, l’abbaye, l’orphelinat, le musée, et termina sa promenade par le palais de justice. On se rendit à Flessingue, on revint à Wemeldingen où on retrouva l’hospitalier capitaine Van Maenen, qui emmena la caravane à Zierikzée. Les voyageurs entrèrent dans ce qui fut autrefois la cathédrale. L’incendie avait laissé une magnifique ruine qu’on remplaça par une horrible bâtisse ; l’organiste en chef jouait de l’orgue, et Victor Hugo écrivit sur son carnet de voyage deux strophes :

L’orgue commence. Voix profonde Soudain,
L’orgue commence. Voix profonde !

Un éclair d’harmonie éclate et disparaît.
Puis, comme en la mêlée et comme en la forêt,
xxxxLe bruit monte, tremble, s’écroule,
Et se redresse ainsi qu’un combattant debout,
Et, comme dans une urne embrasée où l’eau bout,
xxxxLes sombres voix croissent en foule[1].


Charles Hugo avait copié cette strophe et celle qui suivait, ajoutant qu’on les trouverait sans doute dans les prochains volumes de vers. Or elles parurent après la mort de Victor Hugo dans Dernière Gerbe.

Les voyageurs avaient visité, à deux lieues de là, Brauwershaven, puis avaient poussé jusqu’à Dordrecht ; le complaisant capitaine servait toujours de guide ;

  1. Dernière Gerbe.