vivent éternellement par leurs œuvres, comme Homère, Virgile, Dante, Shakespeare. Mais ce qu’il y a de surprenant, c’est que ce génie extraordinaire qui a rempli l’univers pendant plus d’un demi-siècle, quoique couche là-bas sous la coupole, trouve encore moyen de nous éblouir chaque année par quelque nouvel éclaboussement d’étoiles, inattendu et superbe.
France et Belgique est un volume de notes de voyages qui nous révèle un Victor Hugo intime, primesautier, plein d’humour, d’entrain, de gaîté, qui voit tout, s’enthousiasme ou s’irrite, s’attendrit ou plaisante, laissant voir, même au cours de la fantaisie la plus familière ou la plus capricante, la griffe de lion du génie.
Au cours de ces lettres écrites à la hâte dans une chambre d’hôtel, sur le coin d’une table d’auberge, au hasard de la circonstance, l’âme du poète se délasse des bonds prodigieux qu’il a faits dans l’empyrée. Mais qu’un détail pittoresque apparaisse : ville flamande avec sa flèche-bijou, site sauvage en Bretagne, champ de bataille de Crécy, « aïeul funèbre de Waterloo et de Sedan », et le puissant épistolier, galopant sur la plus fantastique imagination qui fût jamais, évoque en une page où la bonhomie cède le pas à l’éloquence, avec une acuité de vision incomparable, le tableau qu’il a sous les yeux.
Il faut lire, relire, méditer, savourer cette
nouvelle œuvre du grand poète, à qui rien
ne fut impossible sinon d’être plat ou banal,
et qui, au gré de son caprice énorme, volontiers
dérangerait une montagne pour ramasser
une perle. Ce livre démontre que le génie,
même quand il fait l’école buissonnière, est
toujours le génie, et que les miettes qui tombent
de sa table sont dignes du festin merveilleux
qu’il a servi à nos appétits intellectuels.
Le Radical.
… Ce livre, si nouveau dans l’œuvre, est fait de lettres intimes, d’une intimité qui — bien entendu — ne ressemble pas à celle des autres hommes. Hugo n’a jamais pu être intime avec la note de familiarité que comporte ce mot. Ce serait supposer qu’on ait jamais pu voir Olympio en pantoufles.
Et cependant il s’amuse énormément dans ces lettres, il joue, il badine, il descend jusqu’à la petite querelle.
Et ce sont précisément ces incessantes querelles avec les aubergistes spoliateurs, avec les portefaix d’Avignon, avec les sacristains de cathédrales qui veulent cacher leurs plus belles choses, qui donnent au livre son accent d’intimité particulière.
Ce ne sont là que les petits côtés amusants du livre…
… Mais le voyage ! Ah ! l’incomparable cicérone que Victor Hugo ! On retrouve là, comme sur une palette, négligemment jetées, toutes les couleurs que vous rencontrez dans son œuvre. Il fait des provisions de sensations qu’il note d’une ligne, souvent d’un seul mot.
La mer, surtout, attire Hugo. Il parle avec elle, comme une puissance avec une autre puissance.
Après la mer, ce sont les cathédrales, les
églises, les tours, les clochers, les portails,
les vitraux. Il y en a une éblouissante collection,
vue avec cet œil qui ne trouvait aucun
détail trop petit ni aucun ensemble trop
grand, et à qui les mots du plus riche vocabulaire
obéissaient comme au commandement.
Le Gil Blas.
… Il est intéressant de surprendre le grand homme dans la simplicité de ses récits, volontiers enjoués et pleins de rondeur, dans le sans-façon de son carnet de promeneur à travers des pays nouveaux pour lui. C’est un Hugo bonhomme, narquois aussi, résigné avec belle humeur à toutes les petites mésaventures fatales, qui apparaît souvent, lorsque quelque spectacle d’une beauté imprévue ou quelque émotion intense ne fait pas brusquement rentrer en scène, comme à son insu, le poète de génie ; et c’est précisément par ce mélange de terre à terre et de coups d’ailes que le livre formé par ses lettres intimes garde, malgré les années lointaine, d’où elles sont datées, une saveur singulière.
… On sent, à travers toutes ces notes de route, que Hugo a été le prestigieux évocateur de Notre-Dame de Paris. Partout où il la