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vi
LE CÔTÉ MORAL DE LA QUESTION.

Il faut d’abord, monsieur Bonaparte, que vous sachiez un peu ce que c’est que la conscience humaine.

Il y a deux choses dans ce monde, apprenez cette nouveauté, qu’on appelle le bien et le mal. Il faut qu’on vous le révèle, mentir n’est pas bien, trahir est mal, assassiner est pire. Cela a beau être utile, cela est défendu. Par qui ? me direz-vous. Nous vous l’expliquerons plus loin ; mais poursuivons. L’homme, sachez encore cette particularité, est un être pensant, libre dans ce monde, responsable dans l’autre. Chose étrange et qui vous surprendra, il n’est pas fait uniquement pour jouir, pour satisfaire toutes ses fantaisies, pour se mouvoir au hasard de ses appétits, pour écraser ce qui est là devant lui quand il marche, brin d’herbe ou parole jurée, pour dévorer ce qui se présente quand il a faim. La vie n’est pas sa proie. Par exemple, pour passer de zéro par an à douze cent mille francs il n’est pas permis de faire un serment qu’on n’a pas l’intention de tenir, et, pour passer de douze cent mille francs à douze millions, il n’est pas permis, quoiqu’il vous semble, n’est-ce pas, que cela en vaille la peine, il n’est pas permis de briser la constitution et les lois de son pays, de se ruer par guet-apens sur une assemblée souveraine, de mitrailler Paris, de déporter dix mille personnes et d’en proscrire quarante mille. Je continue de vous faire pénétrer dans ce mystère singulier. Certes, il est agréable de faire mettre des bas de soie blancs à ses laquais, mais pour arriver à ce grand résultat, il n’est pas permis de supprimer la gloire et la pensée d’un peuple, de renverser la tribune centrale du monde civilisé, d’entraver le progrès du genre humain et de verser des flots de sang. Cela est défendu. Par qui ? me répéterez-vous, vous qui ne voyez devant vous personne qui vous défende rien. Patience. Vous le saurez tout à l’heure.

Quoi ! — ici vous vous révoltez, et je le comprends, – lorsqu’on a d’un côté son intérêt, son ambition, sa fortune, son plaisir, un beau palais à conserver faubourg Saint-Honoré, et de l’autre côté les jérémiades et les criailleries des femmes auxquelles on prend leurs maris, des mères auxquelles on prend leurs fils, des familles auxquelles on arrache leur père, des enfants auxquels on ôte leur pain, du peuple auquel on confisque sa liberté, de la société à laquelle on retire son point d’appui, les lois ; quoi ! lorsque ces criailleries sont d’un côté et l’intérêt de l’autre, il ne serait pas permis de dédaigner ces vacarmes, de laisser « vociférer » tous ces gens-là, de marcher sur l’obstacle, et d’aller tout