Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/174

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enfance, les soins, les leçons, les conseils, les lettres grecques et latines, les maîtres. C’est un personnage grave et scrupuleux. Aussi en a-t-on fait un magistrat. Voyant cet homme passer ses jours dans la méditation de tous les grands textes, sacrés et profanes, dans l’étude du droit, dans la pratique de la religion, dans la contemplation du juste et de l’injuste, la société a remis à sa garde ce qu’elle a de plus auguste et de plus vénérable, le livre de la loi. Elle l’a fait juge et punisseur de la trahison. Elle lui a dit : — Un jour peut venir, une heure peut sonner où le chef de la force matérielle foulera aux pieds la loi et le droit ; alors, toi, homme de la justice, tu te lèveras, et tu frapperas de ta verge l’homme du pouvoir. — Pour cela, et dans l’attente de ce jour périlleux et suprême, elle le comble de biens, et l’habille de pourpre et d’hermine. Ce jour vient en effet, cette heure unique, sévère, solennelle, cette grand heure du devoir ; l’homme à la robe rouge commence à bégayer les paroles de la loi ; tout à coup il s’aperçoit que ce n’est pas la justice qui prévaut, que c’est la trahison qui l’emporte ; et alors, lui, cet homme qui a passé sa vie à se pénétrer de la pure et sainte lumière du droit, cet homme qui n’est rien s’il n’est pas le contempteur du succès injuste, cet homme lettré, cet homme scrupuleux, cet homme religieux, ce juge auquel on a confié la garde de la loi et en quelque sorte de la conscience universelle, il se tourne vers le parjure triomphant, et de la même bouche, de la même voix dont, si le traître eût été vaincu, il eût dit : criminel, je vous condamne aux galères, il dit : monseigneur, je vous jure fidélité !

Prenez une balance, mettez dans un plateau ce juge et dans l’autre ce forçat, et dites-moi de quel côté cela penche.