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tulé : Le Progrès inclus dans le coup d’État et par la Conclusion en deux parties, résumant les idées générales, réservant, peut-être pour un autre volume, les développements que nous avons reproduits dans le Reliquat.

En même temps qu’il établissait le plan de son œuvre, il notait les phrases qui lui venaient à l’esprit ; en voici plusieurs :

Un jour l’avenir aura peine à croire que Louis Bonaparte ait existé. Dans ce livre, destiné à dire un peu ce que c’était que cet homme, on s’est proposé un double but, exposer le crime son moyen de succès, la ruse, et son procédé de gouvernement, la force. Ce procédé de gouvernement peut se résumer en trois mots : faire voter, faire jurer et faire taire. Le sabre sur le vote, le sabre sur le serment, le sabre sur le silence.

L’idéal du silence est atteint par la Constitution du 14 janvier.


Je prends à partie Bonaparte.

Et je me lève devant lui comme le remords en attendant que tous se lèvent comme le châtiment.


Après le coup d’Etat, le bourgeois se croyait sauvé, et se sentait humilié. On trouve dans les boîtes du scrutin du 20 décembre, parmi les innombrables oui, ce bulletin qui peint d’un mot toute la situation : — Hélas, oui.


n’est pas coupable

Non, la France n’est pas responsable de ce vote infâme. Ce vote, loin d’absoudre Bonaparte, est un crime de plus à sa charge (développer).


L. B.

Tombera-t-il ? — Oui. — Quand ? — Je l’ignore. — Mais sûrement ? — Sûrement. Un homme n’est pas pris au collet par une aussi formidable logique sans être perdu.


Le 14 juin, Victor Hugo avait déjà tracé des plans, réuni de nombreuses notes, écrit même des chapitres et des fragments, sans ordre, mais c’est à cette date qu’il commença réellement le volume dans une atmosphère de fièvre ; il était là, à sa table, couvrant d’une écriture rapide les feuillets de papier sans s’interrompre ; si par hasard quelqu’un entrait, il ne détournait pas la tête ; le général Lamoricière ne manquait pas de venir tous les matins entre neuf et dix heures ; d’un signe de main, il invitait Victor Hugo à ne pas s’occuper de lui, il s’installait sur le divan, fumait sa pipe ou celle de Charles quand il avait oublié la sienne, et ne bougeait plus ; il attendait que Victor Hugo tournât la tête ; alors il sacrait et jurait, il s’emportait contre Louis Bonaparte, et il suppliait Victor Hugo de lui lire quelques pages de Napoléon-le-Petit. Quel soulagement ! Comme il savourait ces pages vengeresses ! Il partait plus content, mais nullement apaisé, et il revenait le lendemain, toujours avec les mêmes jurements, les mêmes appétits de vengeance et l’ardent désir d’entendre de nouvelles pages de flétrissure. Victor Hugo lisait aux proscrits, à Charras, à de Flotte, à Hetzel, à Émile Deschanel, à Madier de Montjau, à Dussoubs, le chapitre qu’il venait de terminer. Son inspiration s’échauffait encore aux protestations enflammées des vaincus. Il écrivait dans ce milieu de persécutés et de victimes, sous le souffle de ces passions bouillonnantes, mettant son lyrisme au service du droit méconnu.

En seize jours il avait écrit la plus grande partie du volume. Le 1er juillet, Victor Hugo annonce à sa femme qu’on met, à Londres, sous presse, Napoléon-le-Petit.

Personne n’a osé acheter le manuscrit ; on l’imprime, c’est là toute la hardiesse anglaise.

J’ai fait ce livre depuis que tu nous as quittés. Je publierai l’Histoire du Deux Décembre plus tard. Étant forcé de l’ajourner, je n’ai pas voulu que Bonaparte profitât de l’ajournement. J’espère que vous serez tous contents de Napoléon-le-Petit. C’est une de mes meilleures choses. J’ai improvisé ce volume