Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/322

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Le représentant Monet resta seul debout, et d’une voix haute et indignée, qui retentissait comme un clairon dans la salle vide, ordonna aux soldats de s’arrêter.

Les soldats s’arrêtèrent, regardant les représentants d’un air ahuri.

Les soldats n’encombraient encore que le couloir de gauche, et ils n’avaient pas dépassé la tribune.

Alors le représentant Monet lut les articles 36, 37 et 68 de la Constitution.

Les articles 36 et 37 consacraient l’inviolabilité des représentants. L’article 68 destituait le président dans le cas de trahison.

Ce moment fut solennel. Les soldats écoutaient silencieusement.

Les articles lus, le représentant d’Adelswœrd, qui siégeait au premier banc inférieur de la gauche et qui était le plus près des soldats, se tourna vers eux et leur dit :

— Soldats, vous le voyez, le président de la République est un traître et veut faire de vous des traîtres. Vous violez l’enceinte sacrée de la représentation nationale. Au nom de la Constitution, au nom des lois, nous vous ordonnons de sortir.

Pendant qu’Adelswœrd parlait, le chef de bataillon commandant la gendarmerie mobile était entré.

— Messieurs, dit-il, j’ai ordre de vous inviter à vous retirer, et si vous ne vous retirez pas, de vous expulser.

— L’ordre de nous expulser ! s’écria Adelswœrd ; et tous les représentants ajoutèrent : L’ordre de qui ? Voyons l’ordre ! Qui a signé l’ordre ?

Le commandant tira un papier et le déplia. À peine l’eut-il déplié qu’il fit un mouvement pour le remettre dans sa poche ; mais le général Laidet s’était jeté sur lui et lui avait saisi le bras. Plusieurs représentants se penchèrent, et on lut l’ordre d’expulsion de l’Assemblée, signé Fortoul, ministre de la marine.

Marc Dufraisse se tourna vers les gendarmes mobiles et leur cria :

— Soldats ! votre seule présence ici est une forfaiture. Sortez !

Les soldats semblaient indécis. Mais tout à coup une seconde colonne déboucha par la porte de droite, et, sur un geste du commandant, le capitaine cria :

— En avant ! F…-les tous dehors !

Alors commença on ne sait quelle lutte corps à corps entre les gendarmes et les législateurs. Les soldats, le fusil au poing, entrèrent dans les bancs du sénat. Repellin, Chanay, Rantion furent violemment arrachés de leurs sièges. Deux gendarmes se ruèrent sur Marc Dufraisse, deux sur Gambon. Ils se débattirent longtemps au premier banc de droite, à la place même où avaient coutume de siéger MM. Odilon Barrot et Abbatucci. Paulin