Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/335

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reux de penser que peut-être, quand la police et la force armée arriveraient, les choses seraient trop avancées et la Haute Cour trop compromise.

On avait constitué un greffe, maintenant il fallait constituer un parquet. Deuxième pas, plus grave que le premier.

Les juges temporisaient, espérant que la chance finirait par se décider d’un côté ou de l’autre, soit pour l’Assemblée, soit pour le président, soit contre le coup d’État, soit pour, et qu’il y aurait un vaincu, et que la Haute Cour pourrait alors en toute sécurité mettre la main sur le collet de quelqu’un.

Ils débattirent longuement la question de savoir s’ils décréteraient immédiatement le président d’accusation ou s’ils rendraient un simple arrêt d’information. Ce dernier parti fut adopté.

Ils rédigèrent donc un arrêt. Non l’arrêt honnête et brutal qui a été placardé par les soins des représentants de la gauche et publié, et où se trouvent ces mots de mauvais goût, crime et haute trahison ; cet arrêt, arme de guerre, n’a jamais existé autrement que comme projectile. La sagesse, quand on est juge, consiste quelquefois à rendre un arrêt qui n’en est pas un, un de ces arrêts qui n’engagent pas, où l’on met tout au conditionnel, où l’on n’incrimine personne et où l’on ne qualifie rien. Ce sont des espèces d’interlocutoires qui permettent d’attendre et de voir venir ; lorsqu’on est des hommes sérieux, il ne faut pas, dans les conjonctures délicates, mêler inconsidérément aux événements possibles cette brusquerie qu’on appelle la justice. La Haute Cour s’en rendit compte ; elle rédigea un arrêt prudent ; cet arrêt n’est pas connu ; il est publié ici pour la première fois. Le voici. C’est un chef-d’œuvre du genre oblique.

EXTRAIT
DU REGISTRE DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE

« La Haute Cour de justice

« Vu l’article 68 de la Constitution ;

« Attendu que des placards imprimés, commençant par ces mots : Le président de la République… et portant, à la fin, la signature Louis-Napoléon Bonaparte et de Morny, ministre de l’intérieur, lesdits placards portant, entre autres mesures, dissolution de l’Assemblée nationale, ont été affichés aujourd’hui même, sur les murs de Paris, que ce fait de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République serait de nature à réaliser le cas prévu par l’article 68 de la Constitution et rend indispensable aux termes dudit article la réunion de la Haute Cour ;

« Déclare que la Haute Cour de justice est constituée, nomme…[1] pour

  1. On laissa cette ligne en blanc. Elle ne fut remplie que plus tard par le nom de M. Renouard, conseiller à la cour de cassation.