Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/336

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remplir près d’elle les fonctions du ministère public ; pour remplir les fonctions de greffier M. Bernard, greffier en chef de la cour de cassation, et, pour procéder ultérieurement dans les termes dudit article 68 de la Constitution, s’ajourne à demain trois décembre, heure de midi.

« Fait et délibéré en la chambre du conseil, où siégeaient MM. Hardouin, président ; Pataille, Moreau, Delapalme et Cauchy, juges, le 2  décembre  1851. »

Les deux suppléants, MM. Grandet et Quénaut, offrirent de signer l’arrêt, mais le président jugea plus régulier de ne prendre que les signatures des titulaires, les suppléants étant sans qualité quand la cour se trouve au complet.

Cependant il était une heure, la nouvelle commençait à se répandre au palais qu’un décret de déchéance avait été rendu contre Louis Bonaparte par une portion de l’Assemblée ; un des juges, sorti pendant la délibération, rapporta ce bruit à ses collègues. Ceci coïncida avec un accès d’énergie. Le président fit observer qu’il serait à propos de nommer un procureur général.

Ici, difficulté. Qui nommer ? Dans tous les procès précédents, on avait toujours choisi pour procureur général près la Haute Cour le procureur général près la cour d’appel de Paris. Pourquoi innover ? on s’en tint audit procureur général de la cour d’appel. Ce procureur général était pour l’instant M. de Royer, qui avait été garde des sceaux de M. Bonaparte. Difficulté nouvelle et longue discussion.

M. de Royer accepterait-il ? M. Hardouin se chargea d’aller lui porter l’offre. Il n’y avait que la galerie Mercière à traverser.

M. de Royer était dans son cabinet. L’offre le gêna fort. Il resta interdit du choc. Accepter, c’était sérieux ; refuser, c’était grave.

La forfaiture était là. Le 2 décembre, à une heure après midi, même pour un procureur général, le coup d’État était encore un crime. M. de Royer, ne sachant pas si la haute trahison réussirait, se hasardait à la qualifier dans l’intimité et baissait les yeux avec une noble pudeur devant cette violation des lois à laquelle, trois mois plus tard, beaucoup de robes de pourpre, y compris la sienne, ont prêté serment. Mais son indignation n’allait pas jusqu’à l’accusation. L’accusation parle tout haut ; de Royer n’en était encore qu’au murmure. Il était perplexe.

M. Hardouin comprit cette situation de conscience. Insister eût été excessif, il se retira.

Il rentra dans la salle où ses collègues l’attendaient.

Cependant le commissaire de police de l’Arsenal était revenu.

Il avait fini par réussir à « déterrer » – ce fut son mot – la Haute Cour. Il pénétra jusqu’à la chambre du conseil de la chambre civile ; il n’avait encore dans ce moment-là d’autre escorte que les quelques agents du matin.