Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/370

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Le prisonnier saisissait avidement le pain et l’écuelle.

Le pain était noir et gluant, l’écuelle contenait une espèce d’eau épaisse, chaude et rousse. Rien de comparable à l’odeur de cette « soupe ». Quant au pain, il ne sentait que le moisi.

Quelle que fût la faim, dans le premier moment, la plupart des prisonniers jetèrent le pain sur le pavé et vidèrent l’écuelle dans le trou à barreaux de fer.

Cependant l’estomac criait, les heures passaient, on ramassait le pain et l’on finissait par manger. Un prisonnier même alla jusqu’à ramasser l’écuelle et jusqu’à essayer d’en essuyer le fond avec son pain qu’il mangea ensuite. Plus tard ce prisonnier, un représentant mis en liberté dans l’exil, me racontait cette nourriture et me disait : Ventre affamé n’a pas de nez.

Du reste solitude absolue, silence profond. Pourtant au bout de quelques heures, M. Emile Leroux – c’est lui qui a dit le fait à M. Versigny – entendit de l’autre côté de son mur à sa droite une sorte de frappement singulier, espacé, intermittent, avec des intervalles inégaux. Il prêta l’oreille ; presque au même instant, de l’autre côté du mur à gauche, un frappement du même genre répondit. M. Emile Leroux ravi – quelle joie d’entendre un bruit quelconque ! – songea à ses collègues prisonniers comme lui, et se mit à crier d’une voix éclatante : – Ah ! ah ! vous êtes donc là aussi, vous autres ! Il n’avait pas achevé sa phrase que la porte de sa cellule s’ouvrit avec un grincement de gonds et de verrous ; un homme – c’était le geôlier – apparut furieux, et lui dit :

— Taisez-vous !

Le représentant du peuple, un peu stupéfait, voulut quelque explication.

— Taisez-vous, reprit le guichetier, ou je vous f… au cachot !

Le guichetier parlait au prisonnier comme le coup d’État parlait à la nation.

M. Emile Leroux, avec ses habitudes entêtées de « parlementarisme », essaya pourtant d’insister.

— Comment ! dit-il, je ne puis répondre aux signaux que me font deux de mes collègues !

— Deux de vos collègues ! reprit le geôlier, ce sont deux voleurs. Et il referma la porte en éclatant de rire.

C’étaient en effet deux voleurs entre lesquels était, non crucifié, mais verrouillé, M. Emile Leroux.

La prison Mazas est si ingénieusement bâtie que la moindre parole s’y entend d’une cellule à l’autre. Point d’isolement, par conséquent, en dépit de la cellule. De là ce rigoureux silence imposé par la logique parfaite et atroce du règlement. Que font les voleurs ? Ils ont imaginé un système de frappement