par Satan ; Ève entraînée par la curiosité, la compassion et l’imprudence, jusqu’à la perdition ; la première femme en contact avec le premier démon ; voilà ce que présente l’œuvre de Milton ; drame simple et immense, dont tous les ressorts sont des sentiments ; tableau magique qui fait graduellement succéder à toutes les teintes de lumière toutes les nuances de ténèbres ; poëme singulier, qui charme et qui effraye !
VI
Quand les défauts d’une tragédie ont cela de particulier qu’il faut,
pour en être choqué, avoir lu l’histoire et connaître les règles, le
grand nombre des spectateurs s’en aperçoit peu, parce qu’il ne sait
que sentir. Aussi le grand nombre juge-t-il toujours bien. Et en
effet, pourquoi trouver si mauvais qu’un auteur tragique viole
quelquefois l’histoire ? Si cette licence n’est pas poussée trop loin,
que m’importe la vérité historique, pourvu que la vérité morale soit
observée ! Voulez-vous donc que l’on dise de l’histoire ce qu’on a
dit de la Poétique d’Aristote : elle fait faire de bien mauvaises
tragédies ? Soyez peintre fidèle de la nature et des caractères, et
non copiste servile de l’histoire. Sur la scène, j’aime mieux l’homme
vrai que le fait vrai.
VII
Quand on suit attentivement et siècle par siècle, dans les fastes
de la France, l’histoire des arts, si étroitement liée à l’histoire
politique des peuples, on est frappé, en arrivant jusqu’à notre temps,
d’un phénomène singulier. Après avoir retrouvé sur les vitraux des
merveilleuses cathédrales du moyen âge comme un reflet de cette belle
époque de la grande féodalité, des croisades, de la chevalerie, époque
qui n’a laissé ni dans la mémoire des hommes, ni sur la face de la
terre, aucun vestige qui n’ait quelque chose de monumental, on passe
au règne de François 1er, si étourdiment appelé ère de la renaissance
des arts. On voit distinctement le fil qui lie ce siècle ingénieux
au moyen âge. Ce sont déjà, moins leur pureté et leur originalité
propres, les formes grecques ; mais c’est toujours l’imagination
gothique. La poésie, naïve encore dans Marot, a pourtant cessé d’être
populaire pour devenir mythologique. On sent qu’on vient de changer
de route. Déjà les études classiques ont gâté le goût national. Sous
Louis XIII, la dégénération est sensible ; on subit les conséquences
du mauvais système où les arts se sont engagés. On n’a plus de Jean
Goujon, plus de Jean Cousin, plus de Germain Pilon ; et les types
vicieux, que leur génie corrigeait par tant de grâce et d’élégance,
redeviennent lourds et bâtards entre les mains de leurs copistes.