1827.
FRAGMENT D’HISTOIRE
Ce ne serait pas, à notre avis, un tableau sans grandeur et sans
nouveauté que celui où l’on essayerait de dérouler sous nos yeux
l’histoire entière de la civilisation. On pourrait la montrer se
propageant par degrés de siècle en siècle sur le globe, et envahissant
tour à tour toutes les parties du monde. On la verrait poindre en
Asie, dans cette Inde centrale et mystérieuse où la tradition des
peuples a placé le paradis terrestre. Comme le jour, la civilisation
a son aurore en orient. Peu à peu elle s’éveille et s’étend dans son
vieux berceau asiatique. D’un bras, elle dépose dans un coin du monde
la Chine, avec les hiéroglyphes, l’artillerie et l’imprimerie, comme
une première ébauche de ses œuvres futures, comme un immuable
échantillon de ce qu’elle fera un jour. De l’autre, elle jette à
l’occident ces grands empires d’Assyrie, de Perse, de Chaldée, ces
villes prodigieuses, Babylone, Suse, Persépolis, métropoles de la
terre, qui n’a pas même gardé leur trace. Alors, tandis que tout le
reste du globe est submergé sous de profondes ténèbres, resplendit
dans tout son éclat cette haute civilisation théocratique de l’orient,
dont on entrevoit à peine, à travers tant de siècles, quelques rayons
éblouissants, quelques gigantesques vestiges, et qui nous paraît
fabuleuse, tant elle est lointaine, vague et confuse ! Cependant la
civilisation marche et se développe toujours. L’intérieur des terres
ne lui suffit plus, elle colonise le bord des mers. Aux populations
de laboureurs et de bergers succèdent des races de pêcheurs et de
commerçants. De là, les phéniciens, les phrygiens, Sidon, Troie,
Sarepta, et Tyr, qui bat les mers, comme dit l’Écriture, avec les
ailes de mille vaisseaux. Enfin, prête à déborder l’Asie, elle fonde
sur la limite de l’Afrique cette énigmatique Égypte, ce peuple de
prêtres et de marchands, de laboureurs et de matelots, qui est
en quelque sorte la transition de la civilisation asiatique à la
civilisation africaine, des empires théocratiques aux républiques
commerçantes, de Babylone à Carthage.
Sur l’Égypte, en effet, s’appuient les trois civilisations successives d’Asie, d’Afrique et d’Europe. L’Égypte est la clef de voûte de l’ancien continent.