SUR M. DOVALLE
Il y a du talent dans les poésies de M. Dovalle ; et pourtant sans preneurs, sans coterie, sans appui extérieur, ce recueil, on peut le prédire, aura tout de suite le succès qu’il mérite. C’est que M. Dovalle n’a besoin maintenant de qui que ce soit pour réussir. En littérature, le plus sûr moyen d’avoir raison, c’est d’être mort.
Et puis, ce manuscrit du poëte tué à vingt ans réveille de si douloureux souvenirs ! Tant d’émotions se soulèvent en foule sous chacune de ces pages inachevées ! On est saisi d’une si profonde pitié au milieu de ces odes, de ces ballades orphelines, de ces chansons toutes saignantes encore ! Quelle critique faire après une si poignante lecture ? Comment raisonner ce qu’on a senti ? Quelle tâche impossible pour nous autres surtout, critiques peu déterminés, simples hommes d’art et de poésie ! Aussi, après avoir lu ce manuscrit, n’est-ce pas de l’opinion, mais de l’impression qui m’en reste que je parlerais volontiers.
Et d’abord, ce qui frappe en commençant cette lecture, ce qui frappe en la terminant, c’est que tout dans ce livre d’un poëte si fatalement prédestiné, tout est grâce, tendresse, fraîcheur, douceur harmonieuse, suave et molle rêverie. Et, en y réfléchissant, la chose semble plus singulière encore. Un grand mouvement, un vaste progrès, avec lequel sympathisait complètement M. Dovalle, s’accomplit dans l’art. Ce mouvement, nous l’avons déjà dit bien des fois, n’est qu’une conséquence naturelle, qu’un corollaire immédiat de notre grand mouvement social de 1789. C’est le principe de liberté qui, après s’être établi dans l’état et y avoir changé la face de toute chose, poursuit sa marche, passe du monde matériel au monde intellectuel, et vient renouveler l’art comme il a renouvelé la société. Cette régénération, comme l’autre, est générale, universelle, irrésistible. Elle s’adresse à tout, recrée tout, réédifie tout, refait à la fois l’ensemble et le détail, rayonne en tous sens et chemine en toutes voies. Or (pour n’envisager ici que cette particularité), par cela même qu’elle est complète, la révolution de l’art a ses cauchemars, comme la révolution politique a eu ses échafauds. Cela est fatal. Il faut les uns après les madrigaux de Dorat, comme il fallait les autres après