Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/221

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Diderot, de Bayle, de Montesquieu, de Hobbes, de Locke et de Rousseau, il avait mis la tête de Mirabeau au milieu.

Il n’était pas seulement grand à la tribune, il était grand sur son siège ; l’interrupteur égalait en lui l’orateur. Il mettait souvent autant de choses dans un mot que dans un discours. La Fayette a une armée, disait-il à M. de Suleau, mais j’ai ma tête. Il interrompait Robespierre avec cette parole profonde : Cet homme ira loin, car il croit tout ce qu’il dit.

Il interpellait la cour dans l’occasion : La cour affame le peuple. Trahison ! Le peuple lui vendra la constitution pour du pain. Tout l’instinct du grand révolutionnaire est dans ce mot.

L’abbé Sieyès ! disait-il, métaphysicien voyageant sur une mappemonde. Posant ainsi une touche vive sur l’homme de théorie toujours prêt à enjamber les mers et les montagnes.

Il était par moments d’une simplicité admirable. Un jour, ou plutôt un soir, dans son discours du 3 mai, au moment où il luttait, comme l’athlète à deux cestes, du bras gauche contre l’abbé Maury et du bras droit contre Robespierre, M. de Cazalès, avec son assurance d’homme médiocre, lui jette cette interruption : —Vous êtes un bavard, et voilà tout. Mirabeau se tourne vers l’abbé Goutes, qui occupait le fauteuil : Monsieur le président, dit-il avec une grandeur d’enfant, faites donc taire M. de Cazalès, qui m’appelle bavard.

L’assemblée nationale voulait commencer une adresse au roi par cette phrase : L’assemblée apporte aux pieds de votre majesté une offrande, etc.-La majesté n’a pas de pieds, dit froidement Mirabeau.

L’assemblée veut dire un peu plus loin qu’elle est ivre de la gloire de son roi.-Y pensez-vous ? objecte Mirabeau ; des gens qui font des lois et qui sont ivres !

Quelquefois il caractérisait d’un mot qu’on eût dit traduit de Tacite, l’histoire et le genre de génie de toute une maison souveraine. Il criait aux ministres par exemple : Ne me parlez pas de votre duc de Savoie, mauvais voisin de toute liberté !

Quelquefois il riait. Le rire de Mirabeau, chose formidable.

Il raillait la Bastille. « Il y a eu, disait-il, cinquante-quatre lettres de cachet dans ma famille, et j’en ai eu dix-sept pour ma part. Vous voyez que j’ai été traité en aîné de Normandie. »

Il se raillait lui-même. Il est accusé par M. de Valfond d’avoir parcouru, le 6 octobre, les rangs du régiment de Flandre, un sabre nu à la main, et parlant aux soldats. Quelqu’un démontre que le fait concerne M. de Gamaches, et non pas Mirabeau ; et Mirabeau ajoute : « Ainsi, tout pesé, tout examiné, la déposition de M. de Valfond n’a rien de bien fâcheux que pour M. de Gamaches, qui se trouve légalement et véhémentement soupçonné d’être fort laid, puisqu’il me ressemble. »