Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/26

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qui a tant de propriété dans le mot, tant de logique dans la métaphore ; ôtez à Voltaire cette prose claire, solide, indestructible, cette prose de cristal de Candide et du Dictionnaire philosophique ; ôtez à tous ces grands hommes cette simple et petite chose, le style ; et de Voltaire, de Pascal, de Boileau, de Bossuet, de Fénelon, de Racine, de Corneille, de La Fontaine, de Molière, de ces maîtres, que vous restera-t-il ? Nous l’avons dit plus haut, ce qui reste d’Homère après qu’il a passé par Bitaubé.

C’est le style qui fait la durée de l’œuvre et l’immortalité du poëte. La belle expression embellit la belle pensée et la conserve ; c’est tout à la fois une parure et une armure. Le style sur l’idée, c’est l’émail sur la dent.

Dans tout grand écrivain il doit y avoir un grand grammairien, comme un grand algébriste dans tout grand astronome. Pascal contient Vaugelas ; Lagrange contient Bezout.

Aussi l’étude de la langue est-elle aujourd’hui, autant que jamais, la première condition pour tout artiste qui veut que son œuvre naisse viable. Cela est admirablement compris maintenant par les nouvelles générations littéraires. Nous voyons avec joie que les jeunes écoles de peinture et de sculpture, si haut placées à cette heure, comprennent de leur côté combien est importante pour elles aussi la science de leur langue, qui est le dessin. Le dessin ! le dessin ! c’est la loi première de tout art. Et ne croyez pas que cette loi retranche rien à la liberté, à la fantaisie, à la nature. Le dessin n’est ennemi ni de la chair, ni de la couleur. Quoi qu’en disent les exclusifs et les incomplets, le dessin ne fait obstacle ni à Puget, ni à Rubens. Aujourd’hui donc, dans toutes les directions de l’activité intellectuelle, sculpture, peinture ou poésie, que tous ceux qui ne savent pas dessiner, l’apprennent. Le style est la clef de l’avenir. Sans le style et sans le dessin, vous pourrez avoir le succès du moment, l’applaudissement, le bruit, la fanfare, les couronnes, l’acclamation enivrée des multitudes ; vous n’aurez pas le vrai triomphe, la vraie gloire, la vraie conquête, le vrai laurier. Comme dit Cicéron, insignia victoriæ, non victoriam.

Sévérité donc et grandeur dans la forme ; et, pour que l’œuvre soit complète, grandeur et sévérité dans le fond. Telle est la loi actuelle de l’art ; sinon il aura peut-être le présent, mais il n’aura pas l’avenir.

Dans le drame surtout, le fond importe, non moins certes que la forme. Et ici, s’il nous était permis de nous citer nous-même, nous transcririons ce que nous disions il y a un an dans la préface d’une pièce récemment jouée[1] : « L’auteur de ce drame sait combien c’est une grande et sérieuse chose que le théâtre ; il sait que le drame, sans sortir des limites impartiales de l’art, a une

  1. Lucrèce Borgia. (Note de l’Éditeur.)