Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/49

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autorisé. Pourquoi, en effet, nos sottises n’obtiendraient-elles pas, comme nos vices, droit de vivre en payant patente, et n’est-ce pas une injustice véritable que d’interdire aux duellistes ce qui est permis à tant d’honnêtes gens, d’échapper au code en se réfugiant dans le budget ?

IV

S’il n’y a point de sociétés sans guerre, il est difficile qu’il y ait des guerres sans armées. Ainsi Mme de M... est pleinement justifiée de se livrer dans le chapitre suivant aux détails d’un camp. Mme de M... est, je crois, le premier auteur de son sexe qui se soit occupé de cette matière après la chevalière d’Éon ; non que je veuille établir la comparaison entre Mme de M... et l’amazone du siècle dernier ; c’est purement un rapprochement bibliographique, et ma remarque subsiste.

Mme de M..., comme tous les auteurs militaires, se montre grand partisan de l’obéissance absolue ; c’est une question qui a été souvent agitée par les philosophes, mais qui est tous les jours parfaitement résolue à la plaine de Grenelle.

Il y a sur cette question une opinion de Hobbes que Mme de M... aurait pu citer, et qui ne laisse pas que d’être assez singulière : « Si notre maître, dit-il, nous ordonne une action coupable, nous devons l’exécuter, à moins que cette action ne puisse être réputée nôtre. » C’est-à-dire que Hobbes, pour règle des actions humaines, n’admettrait plus que l’égoïsme.

Mme de M... rapporte, d’après Folard, quelques-unes des qualités que doit posséder un vrai capitaine. Quant à moi, je me défie de ces définitions si parfaites par lesquelles il n’y aurait plus que des exceptions dans la nature. C’est une chose épouvantable à voir que la nomenclature des études préparatoires auxquelles doit se livrer un apprenti général ; mais combien y a-t-il eu d’excellents généraux qui ne savaient pas lire ? Il semblerait que la première condition, la condition sine qua non de tout homme qui se destine à la guerre, serait d’avoir de bons yeux, ou tout au moins d’être robuste et dispos. Eh bien ! une foule de grands guerriers ont été borgnes ou boiteux. Philippe était borgne, boiteux, et de plus manchot ; Agésilas était boiteux et contrefait ; Annibal était borgne ; Bajazet et Tamerlan, les deux foudres de guerre de leur temps, étaient l’un borgne et l’autre boiteux ; Luxembourg bossu. Il semble même que la nature, pour dérouter toutes nos idées, ait voulu nous montrer le phénomène d’un général totalement aveugle, guidant une armée, rangeant ses troupes en bataille, et remportant des victoires. Tel fut Ziska, chef des hussites.